Mme H., infirmière de l’Education Nationale fait l’objet le 7 avril 2006 d’une mesure de suspension provisoire à l’initiative du Rectorat « à la suite d’un signalement de faits graves ». Elle va apprendre de façon officieuse qu’il lui est reproché de ne pas avoir informé les parents d’un élève de son établissement, qu’elle avait rencontré 4 fois courant 2004 et 2005, du mal être de ce dernier et de ses éventuelles velléités suicidaires, l’adolescent passant finalement à l’acte au mois d’octobre 2005, soit 5 mois après son dernier entretien avec l’infirmière.

Aucune plainte pénale n’est instruite à l’encontre de l’infirmière, qui ne fait par ailleurs l’objet d’aucune procédure disciplinaire.

 

Le recours contentieux

Elle saisit dès lors le tribunal administratif d’un recours en annulation de l’arrêté du 7 avril 2006 qu’elle estime fondé sur une erreur manifeste d’appréciation. Elle demande par ailleurs la suspension provisoire de la décision par voie de référé.

Par ordonnance du 25 avril 2006, le président du tribunal administratif rejette la demande de suspension de l’arrêté attaqué au motif que la requérante ne justifierait pas de l’urgence de la situation, laquelle ne serait pas constituée du seul fait qu’elle ne pouvait plus exercer son activité professionnelle, quand bien même elle n’aurait pas été remplacée dans ses fonctions.

Par jugement du 10 décembre 2008, le tribunal administratif statuant au fond a rejeté la demande d’annulation de l’arrêté en considérant que l’infirmière, après avoir identifié les tendances suicidaires de l’adolescent, avait voulu gérer seule la situation, ce qui constituait une faute professionnelle et justifiait la mesure de suspension, « malgré la date des faits d’autolyse et les marques d’estime d’une partie de la communauté éducative ».

Aucune procédure disciplinaire n’était engagée contre l’infirmière qui aurait pu – elle seule – aboutir à la constatation d’une faute professionnelle. Dans l’intervalle, elle a fait valoir ses droits à la retraite.

L’infirmière décidait donc d’interjeter appel du jugement rendu.

 

Une suspension non justifiée

Par arrêt du 10 décembre 2010, la cour administrative d’appel a réformé cette décision et annulé l’arrêté litigieux en retenant d’une part qu’aucune faute grave n’était établie à l’encontre de l’infirmière – qui s’était efforcé de maintenir un dialogue avec un élève qui par ailleurs n’était pas déscolarisé – et en jugeant surtout que rien dans la manière de servir de l’agent n’avait fait ou ne faisait courir le moindre risque à la communauté des élèves de sorte que la suspension de l’infirmière ne pouvait reposer sur l’intérêt ou le bon fonctionnement du service.

Il aura donc fallu plus de 4 ans à l’infirmière concernée pour faire juger ce qui lui semblait d’évidence, et qui a motivé sa constance procédurale : le décès de l’élève a constitué un terrible drame mais à aucun moment elle n’a eu – par action ou omission – un comportement présentant un quelconque danger pour les élèves dont elle avait la charge, de sorte que la mesure de suspension provisoire était manifestement une erreur d’appréciation.

Le droit de suspension provisoire ne peut remplacer une sanction disciplinaire

Son souhait d’ailleurs était d’expliquer sur le fond la nature de la relation entretenue avec l’adolescent, son caractère sporadique et éphémère, sa volonté de lui venir en aide sans intrusion dans sa vie personnelle et la perte de tout contact pendant plusieurs mois avant les faits, alors pourtant que l’adolescent fréquentait assidument l’établissement, suivait un cursus scolaire normal et rentrait chaque soir normalement chez lui. Elle aurait justifié de ses diligences et expliqué pourquoi elle n’avait pas pris plus d’initiatives devant une situation qui semblait normalisée.

Mais cette justification lui est refusée : il ne lui sera jamais demandé d’expliquer son attitude dans le cadre d’une procédure disciplinaire, qu’elle finissait d’ailleurs par souhaiter ardemment car il n’est pire inconfort que de se sentir rejetée par l’institution sans savoir comment ni comprendre pourquoi.

Et c’est tout l’intérêt de l’arrêt du 10 décembre 2010 : les magistrats de la cour d’appel viennent rappeler que la suspension provisoire rendue possible par l’article 30 de la loi du 13 juillet 1983 ne constitue pas un succédané ou un ersatz de sanction disciplinaire, fondu à la chaleur du principe de précaution.

 

Les conditions d’application du droit de suspension

Alors que les premiers juges se contentaient d’évoquer l’existence d’une faute professionnelle sans aucune considération sur la façon de servir ni sur l’incidence d’une éventuelle suspension de ce service, les magistrats d’appel se rendent à l’évidence : à supposer même que, dans cette situation particulière, l’infirmière ait manqué de discernement, il n’existait aucune raison de mettre provisoirement fin à son activité, ni au regard de la dangerosité de son comportement, ni au regard de la sécurité des élèves.

Et seules ces considérations doivent compter dans le cadre d’une suspension provisoire.

Les magistrats l’ont rappelé : une telle décision de suspension provisoire n’a pas même besoin d’être motivée pour être légitime. Prise dans l’urgence, elle doit mettre un terme efficace à une situation de danger pour une collectivité (d’élèves en l’espèce). Elle ne remplace pas une sanction. Et c’est d’ailleurs a posteriori la sanction, qui suit une évaluation sereine des faits, qui justifie éventuellement la suspension initiale. Suspendre sans jamais expliquer pourquoi, sans conclure par une sanction ou une absence de sanction constitue un manque de respect inacceptable pour l’individu suspendu.

L’intéressée dira même : c’est un déni de justice. Et l’auteur des présentes, témoin de ce calvaire ajoute : c’est un drame personnel.

 

Une décision à méditer

Dans notre espèce, comme trop souvent, aucune procédure disciplinaire n’est engagée. La décision de suspension devient finalement la seule décision prise et dont se souvienne l’agent. C’est sans doute pour lui mettre un peu de baume au cœur que la Cour précise – sans y être juridiquement contrainte – qu’aucune faute grave ne peut être relevée.

La Cour vient rappeler qu’il ne faut pas abuser de ce droit à suspension : c’est une décision à méditer et à diffuser.

Par Me Segard, avocat-conseil auprès de l’ASL 59