Combien de réclamations touchent chaque année au principe de laïcité dans le cadre scolaire ?

Marie Derain : La question de la laïcité est traitée d’une manière transversale par l’ensemble des missions du Défenseur des droits. Cela peut concerner aussi bien l’emploi, la pratique sportive, l’école ou d’autres aspects de la vie quotidienne de l’enfant. C’est donc difficile d’avoir une réponse précise quant à l’école.

En septembre 2012, le Défenseur des droits avait lancé une enquête sur l’accessibilité des cantines scolaires dans les écoles publiques élémentaires qui a soulevé notamment la question de la liberté religieuse. Ce point n’est pas apparu comme prioritaire. La plupart des témoignages reçus exprimaient un simple souhait de repas sans viande et, dans de rares cas, la mise en place de menus hallal. Dans les faits, la plupart des cantines scolaires proposent, de longue date, des plats de substitution à la viande de porc, tout en servant du poisson le vendredi. Le juge des référés du Conseil d’Etat a estimé que l’absence de repas de substitution ne méconnaissait pas la liberté religieuse et ne s’imposait pas au maire (CE Ord., 25 octobre 2002).

Ces réclamations sont-elles en hausse ?

M. D : Elles restent stables mais demeurent le reflet d’une inquiétude latente. La laïcité est un sujet qui touche l’école, comme de nombreux aspects de la vie en société.

Comment le Défenseur des droits peut-il y répondre ?

M. D : Nous répondons en droit, ce qui consiste à rechercher le cadre juridique et la jurisprudence. Nous insistons aussi, chaque fois que c’est possible, sur la médiation, c’est-à-dire le dialogue et le respect mutuel.

Quelle est votre position vis-à-vis de la charte de la laïcité à l’école ?

M. D : Le Défenseur des droits a salué la mise en place par le Ministre de l’Éducation Nationale d’une charte de laïcité dans les établissements scolaires publics. Cependant, nous avons constaté, à travers les réclamations reçues, que beaucoup d’incertitudes demeurent quant au champ d’application de ce principe de laïcité. Ces zones d’incertitude multiplient les risques de malentendus et, éventuellement, d’instrumentalisation et de conflit.

Pourquoi avoir saisi le Conseil d’Etat sur l’application du principe de laïcité ?

M. D : Le 9 septembre 2013, le Défenseur des droits a saisi le Conseil d’Etat afin de lui demander d’apporter les clarifications nécessaires. Si les règles en vigueur sont bien établies dans de nombreux domaines, il subsiste toutefois des situations révélant des « zones grises » pour lesquelles l’Institution ne peut donc apporter de réponses précises en droit.

Dans sa demande au Conseil d’État, Dominique Baudis rappelle que la Cour de Cassation, le 19 mars 2013, au travers de deux arrêts (l’un portant sur la CPAM de Paris, l’autre sur la crèche Baby-Loup) établit une ligne de partage entre personnes privées employant des salariés soumis au code du travail auxquels aucune clause générale de neutralité ou de laïcité n’est opposable, et personnes privées délégataires d’un service public qui peuvent au contraire invoquer ces principes. Il souligne que l’application de cette règle suppose qu’ait été préalablement établie la nature de l’employeur mis en cause pour inviter la Haute juridiction à préciser, dans le cadre du droit existant les critères d’identification de cette ligne de partage. De la même façon, il souhaite que des précisions puissent être apportées sur la notion de participant ou de collaborateur occasionnel du service public.

Pour le Défenseur des droits, confronté au quotidien à des demandes précises auxquelles il a pour mission d’apporter des réponses juridiques étayées, il ne s’agit pas de rentrer dans un débat sur l’opportunité ou non d’étendre l’application du principe de laïcité mais d’alerter sur une nécessaire clarification de la loi.