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Entretien avec une ergonome Sorties scolaires : comment mieux prévenir les risques ?Autopsie de la souffrance ordinaire

Françoise Lantheaume, enseignante-chercheuse à l’université Louis-Lumière-Lyon 2, co-auteur avec Christophe Hélou de « La souffrance des enseignants » s’est intéressée à la souffrance ordinaire d’enseignants en activité dans sept établissements hétérogènes du second degré, qui se manifeste par des symptômes moins graves que la souffrance « extraordinaire » aux graves conséquences pathologiques. Cependant, elle provoque des symptômes qui se voient dans le corps : crises de larmes, maux de tête récurrents, maux d’estomac ou maux de dos, insomnies, mais sans le caractère prolongé ou répétitif qui déboucherait sur une dépression, par exemple. « Les moments où l’enseignant bascule dans la souffrance correspondent à ceux où il éprouve un sentiment d’impuissance ou d’inutilité dans son travail », explique-t-elle. La surcharge mentale provoquée par le transport à la maison de tous les problèmes qu’il rencontre en classe produit chez l’enseignant de l’usure et de la fatigue.
Dominique Ottavi, professeur à l’université de Caen, qui signe avec Marie-Claude Blais et Marcel Gauchet un essai intitulé « Conditions de l’éducation », s’est appuyée sur son expérience de formatrice au moment d’écrire ce livre. « J’ai repéré chez les enseignants en formation continue un certain nombre d’attitudes qui m’apparaissaient comme des symptômes de souffrance » explique-t-elle. Celle-ci se manifeste par des réactions de rejet à l’égard des formateurs. Elle ne croit pourtant pas au « je-m’en-foutisme », qu’elle considère comme un phénomène marginal. En revanche, elle constate que de plus en plus d’enseignants s’expriment directement sur ce qu’ils vivent. « Nous ne sommes plus dans le symptôme, mais dans la réalité », remarque-t-elle. « Autour de moi, beaucoup de gens ont des problèmes de santé, passent par des épisodes dépressifs ou d’alcoolisme, des congés maladie longue durée. Il y a dix ans, pourtant, ils étaient respectés et sûrs d’eux, ne se plaignaient jamais, avaient toujours des solutions à tout ».
Perte de repères
D’où provient cette souffrance, réelle ou supposée ? Elle vient d’une extrême fatigue, estime Dominique Ottavi. « C’est épuisant de supporter l’ambiance d’une classe. Quand les élèves sont très jeunes, ils sont extrêmement agités et rétifs, bruyants aussi, et ne donnant pas le sentiment de pouvoir contrôler leurs actions ». Pour l’universitaire, l’incivilité atteint narcissiquement. « Le fait d’être insulté, agressé ou remis en cause personnellement, c’est usant ! ».
Françoise Lantheaume, de son côté, souligne la difficulté d’intéresser les élèves. « Le métier enseignant est mis à mal, mais ce qui ressort le plus, c’est la perte de repères. Les enseignants subissent les transformations du métier et sont confrontés à des attentes et des injonctions contradictoires. Face à cette situation, ils ont du mal à agir collectivement pour construire et défendre des règles de métier actualisées ».
Un tabou depuis vingt ans
Comment les enseignants font-ils face à cette souffrance ? À qui peuvent-ils faire appel pour s’en sortir ? Françoise Lantheaume, dans une première enquête auprès des services de l’Éducation nationale, a recensé les dispositifs de prévention et de traitement existants. La multiplication des dispositifs pour les accueillir traduit, selon les experts, une augmentation des difficultés. La plupart des enseignants ignorent pourtant l’existence de ces dispositifs et ont le sentiment d’être très peu aidés par l’institution.
« Les enseignants en difficulté sont sans doute réticents à faire appel à ces dispositifs parce qu’ils pressentent qu’évaluation et accompagnement ne sont pas distingués, mais aussi que quand ils rentrent dans ces dispositifs, il peut y avoir un phénomène d’étiquetage qui se retourne contre eux. D’autant plus que les responsables rectoraux attribuent le plus souvent l’origine du problème à la personne, sous-estimant le rôle des environnements de travail ». Dominique Ottavi est encore plus sévère dans son constat : « il est très difficile de faire entendre à beaucoup d’inspecteurs que cette souffrance existe. Elle est tout de suite interprétée comme une incompétence ».
Des réseaux d’aide et de soutien aux personnels en difficulté existent pourtant en grand nombre dans les académies aujourd’hui. C’est le cas des lieux d’écoute, de dialogue et d’échange du réseau PAS, mis en place en 2003 par la MGEN avec le ministère de l’Éducation nationale.
Les PAS sont des entretiens, des dialogues et une absence de culpabilisation pour l’enseignant qui se rend dans ces structures d’accueil et d’écoute. Créé en accord avec les autorités académiques et, dans certains départements, avec le soutien des Autonomes de Solidarité Laïques, le réseau PAS couvre aujourd’hui une grande partie du territoire. Il est désormais complété par des formations en direction des personnels de l’Éducation nationale, qui vise à éviter aux enseignants d’atteindre une situation critique. Près de 6 000 personnes ont été concernées par ces formations en 2008.