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Dans chaque département, avec leurs avocats conseil, les Autonomes de Solidarité Laïque exercent au quotidien une vigilance contre les gardes à vue des enseignants injustement mis en cause.
LA GARDE A VUE EN GARDE A VUE PROLONGEE
PREAMBULE : DES CONDITIONS DE GARDE A VUE DE PLUS EN PLUS ATTENTATOIRES AU PRINCIPE DU PROCES EQUITABLE, AU DROIT A LA SURETE ET A LA PRESOMPTION D’INNOCENCE :
Depuis une quinzaine d’années, l’actualité nous rappelle régulièrement que les gardes à vue se banalisent et que leurs conditions d’exercice ne cessent de se dégrader.
En 2009, la France a ainsi enregistré un nombre record de gardes à vue : environ 800 000 au total, soit une augmentation de 54 % depuis 2000.
Quant aux conditions dans lesquelles elles s’exercent, force est de constater que même si les dispositions actuelles du Code de procédure pénale permettent au gardé à vue de faire appel à un avocat dés la première heure, l’entretien avec celui-ci ne peut durer au maximum qu’une demi-heure sans possibilité pour lui d’avoir accès au dossier ou d’assister son client lors des interrogatoires.
Dans de telles conditions, certaines gardes à vue trouvent une issue dramatique ; tel sera le cas du Professeur BUBERT, enseignant au Collège de Saint Michel en Thiérache, qui, après avoir subi une garde à vue consécutive à des accusations mensongères de l’un de ses élèves, ne supportera pas cette mesure coercitive et mettra fin à ses jours le 19 septembre 2008 quelques heures après cette fin de garde à vue…
C’est aussi dans ce contexte que la Cour Européenne des Droits de l’Homme est venue dégager au fil de sa juisprudence, une interprétation nouvelle de l’article 6§1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme relatif au procès équitable et s’est prononcée sur les conditions d’intervention des avocats en garde à vue.
A. L’INTERPRETATION PAR LA COUR EUROPEENNE DU PROCES EQUITABLE ET SES REPERCUSSIONS SUR L’INTERVENTION DES AVOCATS DANS LA GARDE A VUE
Dés 2008, la Cour Européenne a pu affirmer à l’occasion de l’arrêt Salduz contre Turquie du 27 novembre 2008 que pour que le droit à un procès équitable consacré par l’article 6 § 1 demeure suffisamment « concret et effectif », il fallait que l’accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire de la personne gardée à vue.
Un an plus tard le 13 octobre 2009, la même Cour confirmera sa jurisprudence et précisera que l’équité de la procédure requière que l’accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil et que par conséquent : « la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l’avocat doit librement exercer ».
Au regard de cette jurisprudence, certains avocats français ont commencé à invoquer ces arrêts devant les juridictions internes aux fins de voir annuler des gardes à vue dans lesquelles n’aurait pas été respecté le principe du procès équitable.
B. LA LEGALITE DE LA GARDE A VUE CONTESTEE DE TOUTES PARTS
- Une offensive des Avocats admise par certaines Cours d’Appel.
Plusieurs décisions de justice sont venues consacrer la nouvelle interprétation qu’a fait la Cour Européenne en annulant des actes de garde à vue au motif qu’ils ne respectaient pas le principe du procès équitable.
Ainsi, Le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Bobigny a annulé, pour violation des dispositions de l’article 6 § 1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, la procédure de rétention d’un étranger faisant l’objet d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière pris à l’issue d’une garde à vue au cours de laquelle l’intéressé n’avait pu bénéficier de l’assistance d’un avocat durant son interrogatoire, ni même avant toute audition, ou encore en début de garde à vue
Fin 2009, le Tribunal Correctionnel d’Épinal a admis la nullité de trois auditions de garde à vue, aux motifs que les personnes gardées à vue même si elles avaient pu s’entretenir avec un avocat n’avaient pas pu, par la suite, bénéficier de l’assistance de leur avocat lors des auditions.
Suivant le même raisonnement juridique, les Tribunaux correctionnels de Paris et de Nice ont annulé des gardes à vue par jugements respectifs des 28 janvier et 16 février 2010.
La contagion a même gagné certaines Cours d’Appel.puisque le premier Président de la Cour d’Appel de Rennes a rendu début 2010 une ordonnance dans laquelle il infirmait une ordonnance de prolongation de rétention d’un étranger, au motif d’une nullité de garde à vue, consistant à ce que l’étranger avait demandé un avocat, et que sa première audition avait eu lieu immédiatement, sans que l’avocat ait eu le temps de venir s’entretenir avec son client.
De même, dans un arrêt en date du 21 janvier 2010, la Cour d’Appel de Nancy a confirmé le jugement de premièe instance qui avait décidé d’écarter des débats les auditions réalisées alors que le gardé à vue n’avait pas pu rencontrer son avocat avant la 72 éme heure de garde à vue.
Cependant, la nullité de garde à vue est encore loin d’être accordée par la majorité des juridictions nationales. ; dans une affaire analogue à celle qu’ a connu la Cour d’appel de Nancy, la Cour d’appel de Paris a validé le 9 février 2010 la garde à vue d’une personne inculpée pour trafic de stupéfiants qui avait été déférée devant le juge d’instruction avant la fin des 72 heures de garde à vue et, par conséquent, n’avait pas pu s’entretenir avec son avocat.
2. 25 avril 2010 : Pour la première fois en France le Parquet autorise la présence de l’avocatdurant l’interrogatoire de garde à vue :
Le 25 avril dernier le Vice-Procureur de GRENOBLE a autorisé une avocate de ce Barreau à assister son client lors d’un interrogatoire dans le cadre d’une prolongation de garde à vue pour recel de vols à la gendarmerie de VIZILLE ( Isère).
Le Magistrat du Parquet a expliqué devant la presse qu’il avait pris la décision d’autoriser l’avocate à assister son client pendant l’interrogatoire au vu d’une jurisprudence récente de la Cour Européenne des Droits de l’Homme mais aussi du Tribunal de Grande instance de GRENOBLE ainsi que de la Cour d’Appel de GRENOBLE.
Il n’est pas certain que cette brèche décisive soit suivie de la majorité des Parquets, mais il s’agit d’un bouleversement sans précédent dans les pratiques judiciaires ; interpréter le code de procédure à l’heure européenne avant qu’il ne soit modifié.
3. Une offensive du législateur provisoirement « stoppée ».
Alors que le Ministre de la Justice, finalise à peine la reforme de la procédure pénale, qui devrait être débattue avant la fin 2010, cette mobilisation des avocats et de certains magistrats en faveur de l’application du droit à un procès équitable pendant la phase de la garde à vue conduit actuellement le gouvernement et le législateur à réfléchir à nouveau sur une reforme profonde des droits de la défense durant la garde à vue.
Des propositions de loi tendant à encadrer la garde à vue ont été récemment déposées au Parlement. Elles visent à modifier l’actuel article 63-4 du code de procédure pénale afin de permettre à l’avocat d’avoir accès au dossier pénal et d’être présent lors des interrogatoires de garde à vue.
4. La puissante résistance de la police judiciaire
La perspective de la présence de l’avocat au cours des interrogatoires suscite l’inquiétude, voire l’hostilité de certains officiers de police judiciaire et de leur hiérarchie qui, sans évoquer une notion d’entrave dans leur enquête, considèrent que la présence de l’avocat doit être limitée dans le temps et retardée le plus possible pour certaines infractions comme le terrorisme ; la Chancellerie n’est pas insensible à cette résistance ; en réponse à cette proposition de reforme, le ministre de la justice a annoncé que la garde à vue ne serait possible, à l’avenir, que pour des faits pouvant entraîner une peine d’emprisonnement.
Enfin, selon les derniers projets l’avocat pourrait demander des actes d’investigation au Parquet et assister aux interrogatoires du mis en cause en cas de prolongation de la garde à vue ; cette position d’attente est jugée insuffisante et n’a pas désarmé certains Députés ni les Avocats qui viennent d’exhiber deux nouvelles armes contre la garde à vue sans Avocat.
C. LA PROPOSITION VALLINI ET LA MISE EN MOUVEMENT « DE LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE. »
- L’article unique de l’ancien Président de la Commission d’OUTREAU :
André VALLINI Député de l’ISERE, Ancien Président de la Commission d’OUTREAU, a déposé dans le courant du mois de mars 2010 une proposition de loi instituant la présence effective de l’Avocat dès le début de la garde à vue.
Sa proposition était ramassée dans un article unique et simple : « toute personne placée en garde à vue doit immédiatement faire l’objet d’une audition assistée d’un avocat si elle en fait la demande. Son audition est alors différée jusqu’à l’arrivée de l’avocat. »
Pour expliciter sa demande qui sera rejetée par la Commission des lois, le parlementaire évoquait l’insécurité juridique des mesures de garde à vue qui ne saurait perdurer, les risques d’invalidation des mesures de garde à vue actuellement exécutées sans assistance d’un avocat et une impérieuse nécessité d’améliorer les droits de la personne gardée en vue.
Il s’agit enfin d’harmoniser notre législation avec la pratique d’un grand nombre de pays européens ; une étude du Sénat portant sur 6 Etats européens révèle en effet que le droit pour les personnes placées en garde à vue de bénéficier de l’assistance d’un avocat dès qu’elles sont privées de liberté est largement reconnu au sein de l’Union Européenne ; tel est le cas en Allemagne, en Angleterre et au pays de Galles, au Danemark, en Espagne et en Italie, où l’assistance d’un Avocat, le cas échéant commis d’office, est prévue dès le début de la garde à vue.
Dans quatre de ces cinq pays l’avocat peut en général assister aux interrogatoires. Seule l’Allemagne ne prévoit pas la présence de l’avocat lors des interrogatoires, mais permet au gardé à vue de demander l’interruption de l’interrogatoire afin de consulter son avocat.
Pour écarter cette nouvelle proposition la Garde des Sceaux avancera que toute réflexion sur la garde à vue doit s’inscrire dans une approche globale de la procédure pénale et que la question particulière de la présence de l’avocat doit prendre en compte tous les paramètres de l’enquête judiciaire en veillant à assurer un bon équilibre entre les besoins de l’enquête et la garantie des droits de la défense.
2. La garde à vue menacée par la question prioritaire de constitutionnalité ( article 61-1)
Lors de la rentrée du Barreau de Paris Jean-Louis DEBRE, Président du Conseil Constitutionnel, avait donné aux jeunes avocats l’idée d’utiliser la question prioritaire de constitutionnalité pour hâter la réforme de la garde à vue.
Sa recommandation fut reprise par l’ancien Bâtonnier de Paris Christian CHARRIERE-BOURNAZEL qui s’exprima avec vigueur : « je conseille à mes confrères de soulever partout les nullités des gardes à vue ». L’offensive a porté ses fruits puisque le 1er mars 2010, la Présidente de la 23ème chambre du Tribunal Correctionnel de Paris a accepté de transmettre le dossier à la Cour de Cassation alors que la question prioritaire de constitutionnalité mettant en cause la garde à vue avait été déposée devant cette juridiction.
Comme on le constatera il s’agit de mettre en application l’article 61-1 de la constitution qui est rentré en vigueur le 1er mars 2010 et qui énonce : « Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé ».
La Cour de Cassation a donc été saisie et dispose désormais d’un délai de trois mois pour accepter de transmettre cette question prioritaire au Conseil Constitutionnel qui disposera lui aussi de trois mois à compter de sa saisine pour statuer.
Comme on le voit l’offensive contre la garde à vue sans avocat est bien lancée.
CONCLUSION PROVISOIRE
Avec plus d’un ½ million de nos concitoyens privés chaque année de leur liberté sous le régime de la garde à vue, la France se doit de modifier une législation devenue liberticide au regard de nos traditions et des pratiques judiciaires des autres pays européens. Si le Garde des Sceaux souhaite en l’état attendre la discussion au parlement d’un texte limité qui s’intégrerait dans la réforme importante du Code de procédure pénale, l’offensive des avocats et des magistrats risque d’accélérer le calendrier afin que soit respectée dans les commissariats de police la jurisprudence de la Cour Européenne qui exige désormais que toute personne entendue lors d’une enquête la concernant le soit en présence d’un avocat.
« La garde à vue, sans véritable droit de la défense, est depuis plusieurs mois en garde à vue prolongée ; sa mise en examen est programmée et sa condamnation imminente ».