Une vieille idée à géométrie variable 

D’une certaine manière, la sanctuarisation de l’École a commencé dès le Moyen-Age, lors de la « franchise » des universités qui commence dans les premières années du XIIIème siècle (en particulier à l’université de Paris qui s’élève contre la police municipale qui voulait y faire régner son ordre). Cependant, il ne faudrait pas croire que l’université est un lieu de non-droit, en état d’ « extraterritorialité », puisqu’en cas de flagrant délit ou de crime la police peut entrer dans l’enceinte de l’université et que, dans d’autres cas, le président de l’université peut l’y autoriser.

La notion de « sanctuarisation » de l’École date des débuts de la troisième République. Selon le sociologue Emile Durkheim, l’Église a en quelque sorte « inventé » l’École sous une forme institutionnelle forte (à l’instar d’un « sanctuaire ») parce qu’elle avait un projet d’emprise universelle sur les âmes, celui de la « conversion ». Pour Durkheim, qui écrit à la fin du XIXème siècle et qui tient à percer le secret profond de l’Ecole, y compris et surtout de l’école laïque de la troisième République, l’Histoire de l’École est celle de la longue « laïcisation » de ce projet de « conversion » dont le contenu (Dieu et l’Eglise ; où la République une et indivisible avec sa « religion de la patrie » selon l’expression de Jules Ferry) importe moins que la forme (celle du « sanctuaire »). C’est pourquoi l’École doit avoir un espace-temps spécifique, avec des règles spécifiques, « hors du monde » et protégé de lui, de ses vicissitudes et de ses violences . Cela implique « l’exterritorialité ».

Pas d’« exterritorialité » en France en dehors des ambassades
La police peut intervenir en toute légalité dans les établissements scolaires (ou dans les lieux de culte). Même s’il peut exister des recommandations ou des circulaires administratives qui encadrent cette possibilité, elles relèvent de l’administratif et non du juridique. Cependant, dans les représentations et dans l’ordre symbolique, il en va tout autrement, en particulier dans le cadre de la filiation historique avec la thématique de l’Ecole sanctuaire.

Le retour de l’École sanctuaire

Cette filiation a été fortement renouée ces vingt dernières années. Le 20 mars 1996, François Bayrou, ministre de l’Éducation nationale, présente au Conseil des ministres son plan de lutte contre la violence à l’École. Il s’agit, selon ses propres termes, de « travailler à resanctuariser l’École » car « l’École doit être un sanctuaire ». Évènement rare dans un Conseil des ministres, le Président de la République Jacques Chirac prend immédiatement la parole et invite les chefs d’établissement à « travailler avec le commissaire de police et le juge pour enfants du lieu », en soulignant même que « la police, dans certains cas, doit pouvoir entrer à l’École ». Mais François Bayrou n’œuvrera pas dans ce sens car il est, pour des raisons de fond, fortement réticent à la présence de forces de l’ordre dans l’enceinte scolaire. Il les développera d’ailleurs quelques années plus tard très clairement lorsque Nicolas Sarkozy proposera, lors de la Convention sur l’éducation tenue par l’UMP le 22 février 2006, l’installation permanente de policiers dans les établissements qui en feraient la demande.

Dès le 11 mars 2006, la réplique de François Bayrou est significative, et elle repose sur la conception originelle de la sanctuarisation de l’École : « retrouver un collège paisible, cela ne se fera pas avec des policiers dans les établissements scolaires, car si nous acceptons l’idée que la loi de l’École est la même que celle de la rue, alors l’école a perdu. Les valeurs de la rue, c’est trop souvent – hélas ! – la loi du plus fort. Et la police est là pour imposer la force de la loi aux caïds qui veulent prendre le dessus. Les valeurs de l’école ce n’est pas la loi du plus fort, c’est la loi du respect, le respect du savoir, le respect de l’éducation, et le respect de l’autre. Si l’on veut sauver l’école, il faut défendre son système de valeurs !  »

François Bayrou défend et développe une certaine pensée – classique – du sanctuaire scolaire. La position de Nicolas Sarkozy est tout autre. Et cela se voit très bien lors d’un épisode qui est proche de celui qui défraye la chronique actuellement. Dans les années 2003-2004, le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy a commencé à faire aller chercher des enfants à l’école,pour des reconduites à la frontière. Mais les réactions de collectifs d’enseignants, d’élus, de militants gagnent en ampleur avec notamment la création du « Réseau Education Sans Frontières ». Une circulaire du ministère de l’Intérieur du 31 octobre 2005 a alors recommandé aux préfets d’éviter toute démarche en vue d’une reconduite à la frontière « dans l’enceinte scolaire ou dans ses abords », avec l’attendu suivant : «  pour des  raisons évidentes ». Des « raisons évidentes », mais lesquelles ? Le mercredi  16 octobre 2013, à l’issue du Conseil des ministres, le ministre de l’Éducation nationale Vincent Peillon, a réclamé, lui, qu’on « sanctuarise l’école » ; et le jeudi suivant l’Élysée a annoncé que « l’école et le temps de vie scolaire pourraient être sanctuarisés » si le rapport d’enquête administrative sur l’affaire Leonarda le recommandait. La suite est connue…

La circulaire du 19 octobre 2013

L’instruction adressée par le ministre de l’Intérieur Manuel Valls au Préfet de Police et à tous les Préfets des départements instaure une sanctuarisation des établissements scolaires qui s’étend à toutes les activités «placées sous l’autorité de l’institution scolaire ». Au-delà de l’enceinte scolaire, l’interdiction de l’intervention des forces de police et de gendarmerie concerne le temps péri-scolaire, les activités organisées pour l’accueil collectif des mineurs, le domaine sportif et culturel. Les transports scolaires, les sorties et voyages scolaires, les cantines extérieures, les établissements d’accueil de la petite enfance, les garderies, les conservatoires, les colonies de vacances, ou encore les centres de loisirs sont également visés. Il s’agit de défendre avec force l’enfant étranger menacé d’expulsion à l’École et autour de l’École.

  •  Interdire toute transgression, même avec l’autorisation des parents
    L’instruction ministérielle interdit toute intervention policière, même si les parents ou les représentants légaux des enfants étrangers ont pu donner leur accord. Il s’ensuit que les enseignants ou les chefs d’établissements ne sauraient davantage être sollicités ou « réquisitionnés » comme par le passé afin de faciliter « la captation de l’enfant ».
  • Mettre en œuvre avec humanité et discernement l’éloignement des familles
    Le ministre de l’Intérieur rappelle enfin que les familles étrangères sous le coup d’une expulsion sont généralement assignées à résidence, et que c’est dans ce cadre que les départs volontaires doivent systématiquement être étudiés.

Une sanctuarisation relative

Cette sanctuarisation ne concerne que les enfants étrangers menacés d’expulsion avec leur famille. L’affaire Leonarda rappelle cependant que l’intervention des forces de police et de gendarmerie survient parfois dans les établissements scolaires sans que les procédures soient « empreintes de discernement ». Il s’agit alors de mettre un terme à des violences scolaires ou à des trafics de toute nature, voire de l’appréhension de mineurs qui se sont rendus coupables d’infractions pénales et interpellés dans le cadre du flagrant délit sous le contrôle d’un Magistrat du Parquet.

Il n’existe alors aucune immunité de l’enceinte scolaire et les lois de la République s’exercent comme partout sur le territoire. A cet égard le ministre de l’Intérieur, le garde des Sceaux, et le ministre de l’Éducation nationale devront se concerter pour remettre à plat les dispositifs d’intervention existants dans le cadre des conventions Justice-Police-État.

  •  « Réactualiser » les conventions Justice-Police-Éducation nationale avec discernement. Dans chaque académie se sont mises en place des conventions qui ont pour ambition de « coordonner » les services de police, de gendarmerie et ceux de la justice avec les chefs d’établissements à l’occasion de phénomènes d’insécurité ou de commissions d’infractions pénales à l’intérieur des établissements scolaires ou à l’occasion des activités scolaires. Malgré leur existence qui est un progrès indiscutable, un certain nombre de « lacunes » ont suscité l’émotion de la communauté éducative. Les interpellations d’élèves sont intervenues au sein de l’école alors qu’elles pouvaient facilement s’effectuer au domicile des intéressés, il est même arrivé que des enseignants soient appréhendés  dans leur établissement scolaire pour être placés en garde à vue au motif que les cours qu’ils dispensaient à leurs lycéens avaient provoqué le dépôt d’une plainte de certains parents d’élèves.
  • Respecter la Convention internationale des droits de l’enfant. La France a ratifié la Convention internationale des droits de l’enfant adoptée par les Nations Unies le 20 novembre 1989. Elle a donc force de loi et doit être respectée par tous. « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale » (article 3 de la CIDE). Tous les enfants ont droit à l’éducation (article 28), droit de jouir du meilleur état de santé possible (article 24), droit à un niveau de vie suffisant pour permettre leur développement physique, mental, spirituel, moral et social (article 27.1) mais ce sont leurs parents qui ont la responsabilité « d’assurer dans la limite de leurs possibilités et de leurs moyens financiers, les conditions de vie nécessaires  à leur développement » (article 27.2). Enfin, l’enfant, pour l’épanouissement harmonieux de sa personnalité, doit grandir dans le milieu familial, dans un climat de bonheur, d’amour et de compréhension, stipule le préambule de la Convention internationale des droits de l’enfant. 

Notre position

L’affaire Leonarda, au-delà du séisme médiatique qu’elle a provoqué,  a été pour le Président de la République et les ministres concernés l’occasion de rappeler avec force « que le cadre scolaire doit être préservé de toute intervention des forces de police et de gendarmerie ». Cette exception ne vaut cependant que pour les enfants étrangers menacés de mesure d’éloignement. D’aucuns estiment que cette sanctuarisation doit concerner tous les enfants et les fonctionnaires de l’Éducation nationale.

Un équilibre doit être recherché entre l’application de la loi qui s’exerce sur l’ensemble des territoires et les droits de l’enfant avec la spécificité du rôle central de l’école dans la vie d’un homme. L’intervention des forces de police doit être conduite en tout état de cause avec discernement et une véritable concertation préalable.

D’ores et déjà, Roger Crucq, le Président de la Fédération des Autonomes de Solidarité, a entrepris une concertation avec le ministre de l’Éducation nationale et la garde des Sceaux afin que soit réexaminé l’ensemble des conventions Justice-Police-Éducation nationale existant dans chaque académie. Dans ce domaine la Fédération des Autonomes de Solidarité et ses avocats-conseil constituent une force de proposition auprès des pouvoirs publics.