Que dit la recherche du rapport des personnels de l’éducation à leur travail ? Sont-ils satisfaits ?

« Selon l’enquête du ministère, les enseignants du public et du privé sous contrat, tous degrés confondus, ont une satisfaction professionnelle inférieure à la moyenne des Français en emploi. »

Les enseignants du 1er degré se représentent leur métier comme enrichissant et épanouissant tout en se plaignant d’une forte charge de travail et de mauvaises conditions d’exercice, associées à un manque de reconnaissance1.

De façon générale, selon l’enquête du ministère de l’Éducation nationale2, les enseignants du public et du privé sous contrat, tous degrés confondus, ont une satisfaction professionnelle inférieure à la moyenne des Français en emploi, et leurs perspectives de carrière tout comme leur niveau de rémunération, sont jugés globalement insatisfaisants, entraînant pour la moitié d’entre eux un sentiment d’épuisement professionnel élevé.

 

Comment se situe la France par rapport à d’autres pays ?

« Si la qualité de vie au travail des enseignants est relativement préservée dans la majorité des pays participants (11), les enseignants français se distinguent toutefois par une qualité de vie dégradée. »

Comparativement avec d’autres pays, la France se distingue dans l’enquête menée par le Réseau Éducation et Solidarité, consortium de chercheurs, syndicats et institutions : si la qualité de vie au travail des enseignants est relativement préservée dans la majorité des pays participants (11), les enseignants français se distinguent toutefois par une qualité de vie dégradée, comme en Belgique, au Maroc et au Cameroun, associée à un état de santé psychologique le plus préoccupant en termes d’anxiété, de dépression et de désespoir, associée de même au sentiment d’un métier stressant, un des taux les plus élevés pour la France.

À cela s’ajoutent une médecine du travail quasi inexistante et des possibilités d’évolution limitées, particulièrement en France. Pour autant, les personnels aiment travailler dans leur établissement dans lequel ils se sentent en sécurité et entretiennent de bonnes relations, notamment avec les élèves et leurs collègues. Toutefois, ces résultats pourraient bien être totalement autres dans les années qui viennent, relativement au contexte d’exercice devenu récemment à haut risque.

 

Quels sont les facteurs de dégradation de la santé des enseignants ?

« Cette révolution managériale s’est accompagnée d’un nouveau discours mettant en avant la performance, l’adaptabilité, la mobilité, la flexibilité, la qualité, l’excellence, le pilotage stratégique. Or, ces termes positifs, dynamiques, symboles de modernité et de changement, ont un coût élevé pour le psychique des sujets au travail, parce qu’engageant et instrumentalisant leurs subjectivités. »

Dès les années 1980, dans les pays anglo-saxons, de nombreuses recherches ont confirmé une pénibilité spécifique repérée dans tous les métiers de la relation impliquant une responsabilité morale et un fort investissement émotionnel pouvant entraîner un épuisement. C’est la raison pour laquelle ces types de métiers requièrent des conditions et des organisations tenant compte des besoins spécifiques de l’activité, qui, selon certains environnements aujourd’hui à haut risque, doit être très sérieusement questionnée sous l’angle de la protection et de la sécurité au travail.

Au niveau politique, le déterminant majeur de la santé au travail des enseignants est apparu dans les années 2000. En effet, les besoins du marché et de la société ont dû évoluer par suite des injonctions de l’OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques, ndlr] poussant les pays européens à adapter l’organisation de leur pouvoir public, et en renforçant la productivité des administrations publiques. Cette révolution managériale centrée sur les résultats et les performances individuelles, et de plus soumises à l’expertise des « clients-usagers », a fortement impacté l’activité des enseignants : ils ont dû se soumettre au modèle anglo-saxon « top-down » de l’école efficace basée sur la reddition des comptes, avec pour conséquence un pilotage par les évaluations standardisées qui a conduit au bachotage, à la sélection, à la pression des cadres à partir d’indicateurs de performance. Cela a aussi entraîné une double injonction pour les professionnels, à la fois contraints par des programmes et soumis à une forte demande de responsabilisation par rapport à l’amélioration des résultats, le travail en équipe, le développement de projets, l’innovation sur des critères de créativité et de changement, les directions étant formées pour maintenir le rang dans un monde concurrentiel.

Enfin, cette révolution managériale s’est accompagnée d’un nouveau discours mettant en avant la performance, l’adaptabilité, la mobilité, la flexibilité, la qualité, l’excellence, le pilotage stratégique. Or, ces termes positifs, dynamiques, symboles de modernité et de changement, ont un coût élevé pour le psychique des sujets au travail, parce qu’engageant et instrumentalisant leurs subjectivités3.

 

Quels sont les déterminants de la santé au travail ?

« Des ressources à la fois internes et externes, constitutives d’un pouvoir d’agir […] comme la capacité des personnes et des communautés à exercer un contrôle sur la définition et la nature des changements qui les concernent. »

Le vivre en santé au travail est conditionné par des ressources à la fois internes et externes, constitutives d’un pouvoir d’agir défini par Julian Rappaport [psychologue américain, ndlr] en 1987, comme la capacité des personnes et des communautés à exercer un contrôle sur la définition et la nature des changements qui les concernent. Or, la période actuelle, porteuse de grands changements dans les relations sociales et civiques, devra être évaluée dans sa complexité afin de donner aux enseignants la capacité à agir, à faire des choix, à reconnaître les symptômes d’une santé négative, et les facteurs contributifs.

Dans ce cadre inédit, le modèle dit de l’amélioration et des progrès4 est promoteur de santé positive, contrairement au modèle précédent d’obligation de résultat qui limite le pouvoir d’agir. En effet, il repose sur la souplesse, sur le développement professionnel continu, dans un nouveau partage des rôles et des responsabilités. L’évaluation dans ce cadre est au service des apprentissages, et l’ingénierie de l’enseignement et de la pédagogie repose sur des ressources externes et sur le soutien du personnel par la formation et l’accompagnement.

 

Comment vivre en bonne santé à l’école ?

« C’est par une approche globale […] de l’environnement du travail que les collectifs de professionnels dans les établissements scolaires peuvent œuvrer à la réduction du stress et à la protection de leur santé mentale et physique. »

C’est par une approche globale (et pas seulement par des facteurs de risques) de l’environnement du travail que les collectifs de professionnels dans les établissements scolaires peuvent œuvrer à la réduction du stress et à la protection de leur santé mentale et physique.

Il s’agit de chercher à maintenir les ressources existantes (psychosociales, matérielles, organisationnelles, personnelles), et à les développer pour permettre l’exercice du métier dans des conditions favorables à un épanouissement professionnel au service de la réussite des élèves. Cette approche dite « écologique » repose sur la volonté de la communauté d’interroger les pratiques ordinaires d’enseignement, d’éducation, de vie d’équipe, de communication, pour en déceler les impasses et dysfonctionnements, mais aussi pour trouver collectivement le pouvoir d’agir sur les situations nocives et dangereuses.

 

Quels leviers les pouvoirs publics peuvent-ils activer pour répondre à l’exigence de la promotion de la santé au travail ?

« Le droit de la santé au travail dans la fonction publique n’existe pas aujourd’hui. Il est encore à construire. Le droit est vecteur de justice sociale. Il permet de protéger sa santé et celle des autres dans le champ du travail, chacune et chacun dans l’exercice de ses responsabilités. »

Le droit de la santé au travail dans la fonction publique n’existe pas aujourd’hui. Il est encore à construire. Le droit est vecteur de justice sociale. Il permet de protéger sa santé et celle des autres dans le champ du travail, chacune et chacun dans l’exercice de ses responsabilités. Il donne du sens au travail via des valeurs qu’il peut porter ; il aide à la prise de décision face à des enjeux concrets relatifs aux processus décisionnels, sur les valeurs et les principes mis en jeu et leurs rapports entre eux au regard du cadre de référence qu’est le droit.

La médecine du travail est à renforcer en tant qu’acteur de la prévention et de la protection.

Les conditions du pouvoir d’agir structurel dans l’environnement de travail sont à améliorer : la participation aux décisions, le partage des récompenses et des reconnaissances, l’accessibilité à l’information, etc.

Enfin, les conditions de l’empowerment individuel sont aussi à améliorer. Le sens correspond à l’adéquation entre mes valeurs, mes motivations et la réalité du travail. Le sentiment de compétences professionnelles, mais aussi le degré du choix dans mes activités de travail et l’impact de ces dernières.

 

Textes de référence 

  1. Barroso da Costa et al., (2023)
  2. DEPP, Note 22-31, (octobre 2022)
  3. Gaulejac et Hanique, (2019)
  4. Hopkins, (2001)
  5. Berger Emanuele, et al. « De l’émergence du courant School improvement et exemples d’applications ». Revue française de pédagogie, 2004, n° 148 pp. 119-134
  6. Bergugnat, L. (Dir). Des professionnels face à la pandémie, un devoir de mémoire, Ed. Champs Social, 2021
  7. Bergugnat, L., Lerouge, L. « La santé au travail : une question d’éducation et de formation ? » Revue Éducation, Santé, Sociétés, 2021, Vol. 7, n° 2
  8. Bergugnat L., Rascle N. « Prévenir le risque d’épuisement des enseignants débutants par la formation », Éducation Permanente, 2020, n° 224, pp. 123-130
  9. Rascle, N. et Bergugnat, L. Qualité de vie des enseignants en relation avec celle des élèves : revue de question, recommandations. Rapport commandé par le Cnesco, 2016