Pourquoi avoir travaillé sur l’épanouissement des personnels de l’éducation dans leur travail ?

Cette réflexion centrée sur l’épanouissement au travail des enseignants a des origines plurielles.

En visant une meilleure efficacité du système éducatif, les politiques éducatives françaises ont considérablement modifié le travail enseignant à travers un élargissement des tâches qui leur sont demandées (cf. BO 2013) : individualisation et accompagnement des apprentissages, évaluation par compétences, projets interdisciplinaires, prise en charge du projet de formation et d’orientation des élèves, relations avec la famille renforcées, et tout cela dans un contexte de concurrence entre les établissements.

Parallèlement, le profil des publics scolaires a changé avec les nouvelles technologies qui ont considérablement modifié le rapport au savoir des élèves. De plus, les résultats d’enquêtes mettant en lumière des processus de souffrance des enseignants notamment en termes d’organisation du travail et d’emprise du travail sur la vie personnelle, tendent à montrer que le travail enseignant ressemble à d’autres métiers de service. D’autres enquêtes centrées sur les risques psycho-sociaux ou le burn-out nous ont incité à prendre le problème à rebours en s’intéressant aux enseignants qui se réalisent, qui sont « heureux dans leur métier » pour comprendre comment se construit cette satisfaction.

Enfin des recommandations internationales, dont celles de l’UNESCO, précisent combien la qualité de vie au travail des enseignants peut être à l’origine d’une meilleure efficacité sur les apprentissages des élèves. C’est ainsi que nous nous sommes intéressés au quotidien de l’exercice du métier, en questionnant l’activité réelle, avec la part réalisée mais aussi celle empêchée (Clot, 1999), pour repérer les ressorts d’une professionnalité source d’épanouissement. Cette enquête a été menée auprès d’enseignants entrés dans le métier avant ces bouleversements et qui ont vu les attentes de leur hiérarchie changer et les relations pédagogiques évoluer. Nous nous sommes surtout intéressés à la façon dont ces enseignants ont décrit leurs manières de faire, leurs gestes de métier pour s’adapter et engager un développement professionnel. Nous avons remarqué que les enseignants qui s’épanouissent dans leur travail ont tendance à construire plus de dispositifs dans lesquels les élèves s’engagent : ils collaborent avec des collègues d’autres disciplines ou d’autres établissements pour donner du sens aux apprentissages.

 

En quoi la qualité de travail dans l’enseignement est-elle un enjeu de société ?

L’élévation du niveau d’éducation et de formation est un enjeu fort dans nos sociétés occidentales. Les enseignants sont à la fois des transmetteurs de connaissances et des formateurs pour l’acquisition de compétences des jeunes.

Les études sur le travail montrent aussi qu’aujourd’hui le travail tient une place essentielle dans la vie de chacun. Au-delà de permettre de subvenir à ses besoins fondamentaux, le travail contribue au développement de la personne et les enseignants investissent une part subjective d’eux-mêmes. On comprend ainsi mieux pourquoi la qualité de vie au travail est une dimension importante pour contribuer à ce développement professionnel. Peut-on imaginer qu’un enseignant, comme tout travailleur, allant exercer son métier avec « la boule au ventre » puisse s’investir et être efficace ? Cette dimension subjective est de plus en plus présente à l’école. Par exemple, on parle aujourd’hui de l’école de la confiance, du management par la confiance, qui sont autant de nouveaux concepts mobilisés pour améliorer la réussite des élèves et l’engagement des enseignants.

Ce qu’il faut retenir est que le travail est bien autre chose qu’une source de revenus ou un levier de l’ascenseur social, il est un aussi un moyen de s’épanouir. Et c’est lorsque le travailleur perd son emploi qu’il se rend compte que cette dynamique s’estompe.

 

La France connaît-elle des spécificités en matière de qualité de travail dans l’enseignement ?

Le regard porté sur la qualité de vie au travail des enseignants s’est fait avec un certain retard en France. Ainsi, pendant une longue période c’était plus la résistance au changement des enseignants qui était évoquée lorsque l’on parlait de leur travail. Mais lorsque l’on observe, comme nous l’avons fait, les activités « ordinaires » des enseignants on repère bien des modifications au cœur-même de leur métier pour traduire les nouvelles prescriptions en « agir professionnel » et tenir compte aussi du contexte d’exercice. En effet, certaines prescriptions étaient parfois difficilement réalisables sans transformation de l’organisation du travail et temps réservé au travail collectif : comment mettre en place une réforme qui nécessite du travail collaboratif sans le prévoir dans l’emploi du temps des personnes concernées ? Sachant que modifier ses activités demande aux enseignants des ajustements et des régulations en fonction des élèves, des collègues ou d’autres personnels, associés à une temporalité qui n’est pas toujours en adéquation avec le temps politique, mettre en œuvre une réforme est à envisager au niveau de l’établissement ou d’une académie, par exemple comme pour la réforme du collège, avec un accompagnement des personnels par les formateurs et les inspecteurs.

Les études menées sur le travail enseignant montrent toute l’importance du collectif de travail, ou plutôt des collectifs de travail car les collectifs ne sont pas exclusivement dans l’établissement. Le collectif est à envisager comme une ressource pour l’enseignant.

La création d’une Direction générale des ressources humaines au ministère et de services dédiés dans les rectorats s’est faite tardivement en France. À ce jour, il s’agit plus d’une gestion des personnels qu’une réelle direction des ressources humaines. La prise en compte des compétences professionnelles dans les affectations et l’environnement de travail reste encore à construire.

 

En France, quelles sont les menaces de cette qualité de travail et les opportunités pour l’améliorer ?

Il serait dangereux ne pas considérer les enseignants comme de véritables professionnels de l’enseignement, aptes à questionner leur activité et à la modifier. Comme nous avons pu l’observer dans notre enquête « durer dans le métier » les enseignants ont des phases d’engagement et de retrait pour se ressourcer et se réengager ensuite, ce sont plus des cycles courts de vie professionnelle qui ont été observés. La vie professionnelle nécessite d’être nourrie et parfois un « standby » est utile, permettant ensuite de mettre à profit des expériences passées dans de nouveaux projets. Un autre risque est l’isolement de l’enseignant, il peut aussi être considéré comme un indicateur de son bien-être au travail.

Des pistes sont à envisager au sein même des établissements par les personnels de direction dont le management devrait encore plus s’appuyer sur des relations de confiance avec les enseignants, créer des espaces et des temps où les enseignants puissent échanger, collaborer et envisager collégialement. Le management par la confiance est à construire pour que les enseignants soient partie prenante des orientations prises dans l’établissement. Les enseignants ont à cœur d’être acteurs de leur propre devenir professionnel pour, bien sûr, viser une meilleure réussite des élèves.

 

Pour en savoir plus :

Sabine Coste & Françoise Lantheaume (2018, sous presse) : Les dynamiques professionnelles en fin de carrière. Savoir durer dans le métier dans un environnement en mutation. In A.-L. Garcia, F. Lantheaume, Le maintien dans le corps enseignant. Âge, genre et structures organisationnelles, chapitre de l’ouvrage Durer dans le métier d’enseignant. Regards franco-allemands. Edition Academia, Bruxelles.