Lorsque l’on parle de risques professionnels, le métier d’enseignant n’est pas forcément le premier auquel on pense. Pourtant, avec un indice de santé psychique nettement inférieur à celui de la population générale (58,5 contre 62,1)1, les études montrent que les conditions d’exercice au sein de l’Éducation nationale sont difficiles et le malaise bien réel. Dans un contexte social de plus en plus tendu et encore accentué par la crise sanitaire, beaucoup pointent l’insuffisance du suivi médical proposé…

Des risques psychosociaux aux conséquences multiples

Ils ne portent pas de charges lourdes, ne travaillent pas la nuit, n’interviennent pas au milieu des flammes… et pourtant les enseignants exercent un métier risqué. Outre les atteintes orthophoniques (parler toute la journée à une classe use la voix), les problèmes d’audition causés par le bruit ambiant ou encore les troubles liés à la position debout prolongée, ils font face à d’importants risques psychosociaux.

Ces derniers sont liés à la nature même des métiers de l’enseignement, qui nécessitent d’être toute la journée en relation à la fois avec ses collègues et sa hiérarchie, mais surtout avec un grand nombre d’élèves, et parfois avec leurs familles. Ce contexte les expose à des risques psychosociaux, c’est-à-dire à des contraintes psychologiques, mentales, sociales et organisationnelles susceptibles d’avoir des effets néfastes sur leur santé2. Parmi eux : dépression, problèmes de sommeil, maladies psychosomatiques ou cardiovasculaires…

Malaise enseignant et usure professionnelle

Si le métier lui-même est vecteur de risques, que dire du contexte social et sanitaire actuel ? L’ASL constate depuis des années une hausse des demandes de conseil juridique déposées auprès d’elle, qui ont bondi en cumulé de 23 % en trois ans3. C’est l’un des signes d’une dégradation constante du climat social dans les établissements scolaires, dont on sait qu’ils sont le réceptacle de nombreuses problématiques et tensions de notre société.

Les illustrations ne manquent pas ces dernières années, qu’il s’agisse du récent drame de Conflans-Sainte-Honorine mais aussi des pressions et agressions vécues au quotidien par les personnels au sein des établissements. À quoi s’ajoute, depuis un an, la gestion du risque sanitaire dans les classes, qui pèse lourdement sur les équipes enseignantes.

De quoi nourrir un malaise enseignant de plus en plus prégnant, lié à ces conditions d’exercice de plus en plus difficiles… et même une véritable usure professionnelle des personnels de l’éducation, chez qui le burnout est de plus en plus fréquent. À titre d’exemple, seuls 37 % des professeurs de collège se disaient en 2018 capables d’exercer leur métier jusqu’à la retraite4.

Des médecins de prévention en nombre très insuffisant

Face à ce mal-être, l’employeur public dit être pleinement impliqué pour la santé des enseignants. Il charge les différents chefs de service de veiller à leur bien-être, en s’appuyant sur des instances consultatives comme les CHSCT, et sur des acteurs de terrain comme les assistants et conseillers de prévention, les inspecteurs santé et sécurité au travail, et bien sûr les médecins de prévention.

Le problème, c’est que tout cela reste très théorique. Car si la législation prévoit par exemple une visite médicale professionnelle tous les cinq ans, de nombreux enseignants ne voient en réalité le médecin qu’à leur entrée dans le métier. En cause, une pénurie manifeste de « médecins du travail » dans la sphère publique et dans l’Éducation nationale en particulier, avec seulement 68 équivalents temps plein pour veiller sur 1,1 million de personnels5.

Dans ces conditions, la prévention que ces équipes médicales sont censées assurer fait cruellement défaut et des problèmes qui auraient dû être pris à la racine sont traités sur le tard, avec des conséquences parfois dramatiques qui peuvent aller jusqu’au suicide (comme celui d’une directrice d’école en 2019). En outre, la disparition programmée des CHSCT6, qui se montrent pourtant indispensables en pleine pandémie, interroge.

Les acteurs de la solidarité au cœur des solutions

Comment, dans ces conditions, rendre plus efficace la prévention et mieux détecter les situations de fragilité ? Une partie de la réponse vient de la sphère de l’économie sociale et solidaire (ESS). Le partenariat qu’a noué le ministère avec la MGEN en est un bon exemple, avec en particulier une cellule d’écoute qui s’avère précieuse pour les enseignants en cette période de crise sanitaire.

Celle-ci s’articule autour d’une cellule locale, mise en place à l’échelle de chaque académie ou département, et d’un numéro national7. Ces dispositifs d’écoute, animés par des équipes pluriprofessionnelles, permettent d’offrir un soutien psychologique aux enseignants qui en éprouvent le besoin. Ils s’inscrivent dans le cadre des réseaux PAS (Prévention, aide et suivi) qui proposent également des groupes d’échanges thématiques, ou encore un soutien post-agression physique ou morale.

Plus largement, il faut une approche globale de l’environnement de travail dans les établissements scolaires pour réduire le stress auquel sont confrontés les enseignants, et protéger leur santé physique et mentale. Les réseaux de solidarité et de promotion de la santé ont également un rôle important à jouer dans cette optique.

L’ASL fait, à ce titre, partie des acteurs sur lesquels les personnels d’éducation peuvent compter. Nous sommes présents sur le terrain pour les écouter et les conseiller, car nous savons qu’à la longue, les petits tracas du quotidien peuvent s’accumuler et conduire à de vraies situations de détresse. Qui peut mieux comprendre et aider un enseignant, sinon un autre enseignant ?

 

Notes

1 Baromètre « Confiance et bien-être » 2020, MGEN.

2 Selon la définition de l’Agence européenne pour la santé et la sécurité au travail.

3 Baromètre « Climat scolaire et relations dans les établissements » 2019, ASL.

4 Enquête TALIS (Teaching and Learning International Survey) 2018.

5 Synthèse activité des services de médecins de prévention (enseignement scolaire), 2017.

6 Telle que prévue par la loi de transformation de la fonction publique adoptée en 2020.

7 0 805 500 005, dispositif des espaces d’accueil et d’écoute (EAE), accessible 24 h/24 et 7 j/7, écoute individuelle et anonyme.