Le harcèlement comme « enjeu de santé publique »

« Le harcèlement entre élèves concerne aujourd’hui près d’un enfant sur dix.

[…] Le ministre de la Santé, associé au nouveau plan de lutte contre le harcèlement, a rappelé lors de sa présentation qu’il s’agissait bien là d’un « enjeu de santé publique ». »

Le harcèlement entre élèves concerne aujourd’hui près d’un enfant sur dix(2). Il consiste, selon la définition du ministère, en « une violence répétée, physique, verbale ou psychologique perpétrée par un ou plusieurs élèves à l’encontre d’un de leurs camarades et ayant pour objet (ou pour effet) une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale. »

Cette violence dépasse parfois le cadre scolaire et se poursuit jusque sur les réseaux sociaux, à travers un cyberharcèlement qui en est le prolongement. C’est donc une menace diffuse qu’il faut appréhender dans sa globalité. Concrètement, il y a harcèlement quand un rapport de domination s’installe entre élèves agresseurs et victimes, que les agressions sont répétées et inscrites dans la durée, et que les victimes se retrouvent isolées, par une mise à l’écart délibérée ou un besoin de protection, faute de solution pour s’en sortir.

Le ministre de la Santé, associé au nouveau plan de lutte contre le harcèlement, a rappelé lors de sa présentation qu’il s’agissait bien là d’un « enjeu de santé publique ». Ce que la Première ministre, Élisabeth Borne, qui porte cette nouvelle stratégie d’action, a résumé en rappelant les conséquences du harcèlement sur les élèves : « C’est la peur, la honte, l’angoisse et parfois même l’irréparable. Se faire insulter, exclure, bousculer ou même frapper, c’est un quotidien qu’aucun adulte ne supporterait. »(3)

 

Entre obligation de signalement et réflexion collective

« Comme tout officier public ou fonctionnaire, les personnels d’éducation qui ont connaissance de crimes ou de délits sont tenus par une obligation de signalement […]. Depuis la loi de 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire, celui-ci est officiellement considéré comme un délit. »

 

Que peuvent les adultes, et en particulier les personnels d’éducation, face à ces situations de harcèlement ? Quelles sont leurs obligations ? Comment se protéger eux-mêmes face à ces phénomènes souvent complexes ?

Rappelons d’abord que, comme tout officier public ou fonctionnaire, les personnels d’éducation qui ont connaissance de crimes ou de délits sont tenus par une obligation de signalement (article 40 du code de procédure pénale(4)). Depuis la loi de 2022(5) visant à combattre le harcèlement scolaire, celui-ci est officiellement considéré comme un délit. Par conséquent, et au-delà de l’obligation morale d’agir lorsqu’un enfant est en danger, ils doivent faire remonter ces situations afin de ne pas se mettre eux-mêmes professionnellement en danger.

Pour autant, hors danger grave ou imminent, et de la même manière que lorsque l’on soupçonne une maltraitance familiale envers un enfant, il n’est pas question d’agir seul ou dans la précipitation. L’idéal est d’ouvrir une réflexion partagée entre les différents acteurs éducatifs : enseignants, directeur d’école ou chef d’établissement, psychologue scolaire, CPE, DASEN, etc. C’est ensemble qu’il convient de faire le point pour décider des actions et d’éventuelles sanctions disciplinaires à mettre en place, voire pour faire un signalement au procureur de la République.

Cela en particulier pour pouvoir en assumer les conséquences, notamment s’il y a des suites judiciaires. Confrontée à un signalement dans le cas d’un élève possiblement violenté par ses parents, une adhérente de L’ASL témoigne : « C’est moralement compliqué, parce que l’on acte les choses par écrit et que cela peut avoir des conséquences qu’on ne maîtrise pas. Il faut être solide, garder à l’esprit que l’on fait cela dans l’intérêt de l’enfant. Mon conseil principal, c’est de ne pas le faire seul, notamment pour ne pas se sentir, par la suite, le seul « responsable » de ce qui arrive. »

Dans le cas d’un harcèlement se déroulant au moins en partie en ligne, les établissements peuvent d’ores et déjà agir immédiatement s’ils constatent que des élèves utilisent leur téléphone sur le temps scolaire. Interdit dans l’enceinte des écoles, des collèges et de certains lycées, le téléphone peut être confisqué pendant toute la durée des activités scolaires, ce qui peut aider à freiner le cyberharcèlement. C’est ici le règlement intérieur des établissements qui fait foi, et dans lequel ce type de disposition doit être clairement précisé.

 

Un nouveau plan qui renforce et clarifie le dispositif existant

« L’idée est de s’attaquer au problème en trois temps, selon un triptyque « prévention, détection, solution » qui met d’abord l’accent sur la formation et la sensibilisation, puis sur la libération de la parole, et enfin sur le traitement de chacune des situations. »

Cette question du cyberharcèlement fait d’ailleurs partie des nouvelles annonces gouvernementales : il devrait bientôt être procédé, pour les faits les plus graves, à une saisie automatique du téléphone portable des élèves harceleurs, s’il a été utilisé à cette fin. De la même manière, la réponse judiciaire doit examiner la possibilité de bannir de 6 mois à 1 an des réseaux sociaux les élèves coupables de harcèlement.

Pour revenir à l’esprit général de ce nouveau plan et à ce qui concerne la réponse purement scolaire, celui-ci vient essentiellement clarifier et renforcer l’existant, permettant aux équipes éducatives d’être mieux outillées. L’idée est de s’attaquer au problème en trois temps, selon un triptyque « prévention, détection, solution » qui met d’abord l’accent sur la formation et la sensibilisation, puis sur la libération de la parole, et enfin sur le traitement de chacune des situations.

  • Pour le premier volet, il y a notamment le renforcement du programme « pHARe » et de ses actions, qui repose entre autres sur la désignation d’un « coordinateur harcèlement » dans chaque établissement. Déjà prévues par le dispositif actuel, mais encore insuffisamment connues, les « équipes ressources » auxquelles il appartient sont formées pour la prise en charge des situations et doivent permettre aux personnels d’avoir un interlocuteur lorsqu’ils sont en recherche d’information et d’accompagnement.
  • De son côté, la partie « détection » prévoit notamment de renforcer les moyens du rectorat avec des personnels spécifiques, réunis dans une cellule dédiée au harcèlement. Ces équipes seront formées et affectées entièrement à cette question, se déplaçant sur le terrain pour pouvoir résoudre des situations directement dans les établissements, sur le modèle des équipes existant déjà pour les questions de laïcité. En complément, le 3018 devient le numéro unique de signalement pour le harcèlement (en remplacement des deux numéros actuels) : là aussi, il peut s’agir d’une aide bienvenue pour épauler et protéger les personnels d’éducation.
  • Enfin, outre les équipes académiques pouvant intervenir dans le cadre scolaire, le plan réaffirme pour ce qui concerne l’aspect « solutions » la possibilité de changer d’établissement un élève harceleur, dans les cas les plus graves. Pour ces mêmes cas graves, il prévoit sur le volet judiciaire une saisie automatique du procureur de la République, notamment grâce à une plateforme dédiée entre l’Éducation nationale et la justice, dont les contours restent à préciser. Cela permettrait le cas échéant d’accentuer la réponse et de ne pas la laisser uniquement dans le champ scolaire, sur les épaules des seuls personnels d’éducation.

 

Mieux former les personnels pour mieux protéger chacun

« C’est avant tout la formation qui est essentielle. Celle-ci doit ainsi être renforcée à nouveau avec ce plan, qui prévoit que tous les acteurs de la communauté éducative soient formés à la lutte contre le harcèlement d’ici à 2027. »

Toutefois, sur la question du harcèlement comme sur de nombreux sujets auxquels sont confrontés les professionnels de l’éducation, c’est avant tout la formation qui est essentielle. Celle-ci doit ainsi être renforcée à nouveau avec ce plan, qui prévoit que tous les acteurs de la communauté éducative soient formés à la lutte contre le harcèlement d’ici à 2027.

Il s’agit là d’un sujet central pour L’Autonome de Solidarité Laïque, qui œuvre depuis toujours pour donner à ses adhérents un éclairage juridique sur tous les aspects sensibles de leur métier, afin qu’ils puissent en maîtriser les risques. L’ASL est en cela un partenaire important des personnels, pour qui il est aussi important de connaître la réalité humaine et les ressorts sociaux du harcèlement que sa qualification juridique précise, ainsi que la responsabilité qui est celle des enseignants et des chefs d’établissement lorsqu’ils sont confrontés à ce type de situation.

L’ASL est ainsi un acteur de terrain, engagé auprès de la communauté éducative via ses personnels militants au cœur des établissements, qui écoutent, conseillent et orientent leurs pairs. Responsabilité pénale, harcèlement, risques numériques… les questions ne manquent pas. Via des formations complètes incluant théorie et études de cas ou via des réponses ad hoc, elles font aussi souvent l’objet d’un éclairage par des avocats-conseil spécialistes partenaires de L’Autonome. L’expérience prouve que, dans bien des cas, apporter ce type de conseils pour protéger les personnels d’éducation contribue également à mieux protéger les élèves, et avec eux l’ensemble de la communauté.

 

Sources

  1. Rapport d’information fait au nom de la mission d’information sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement, Colette Mélot, 22 septembre 2021
  2. « Harcèlement scolaire : « Un élève sur dix est concerné »», Le Monde, 9 novembre 2017
  3. « Lutte contre le harcèlement scolaire : ce qu’il faut retenir des annonces du gouvernement », Le Monde, 27 septembre 2023
  4. Article 40 du Code de procédure pénale : Des attributions du procureur de la République
  5. Loi n° 2022-299 du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire