Pouvez-vous vous présenter ? Quel poste occupez-vous au sein de l’établissement scolaire ?

Je suis directrice d’une école primaire en Bretagne*. Je suis dans cette école depuis dix-sept ans. J’ai été adjointe pendant quatre ans puis j’ai pris la direction de l’école élémentaire qui a ensuite fusionné pour devenir une école primaire.

Au cours de votre carrière, avez-vous déjà été confrontée à la question du signalement ?

Oui, j’ai déjà été confrontée à ce problème de signalement et deux cas m’ont principalement marquée.

Pouvez-vous nous indiquer comment vous avez procédé et quelles difficultés vous avez pu rencontrer dans ces situations ?

La première situation qui a été pour moi particulièrement marquante, c’est un enfant qui est arrivé un matin avec des marques sur le visage. L’enfant m’a indiqué que c’était son père qui lui avait causé ces marques accidentellement alors qu’ils jouaient ensemble. J’ai alors demandé de manière anodine à la maman comment il s’était fait cela et elle m’a répondu qu’il était tombé. J’étais confrontée à deux explications complètement différentes. Sachant que j’avais eu connaissance du fait que l’entourage de l’enfant avait déjà fait appel au numéro 119, « Enfance en danger », j’ai alors décidé de me tourner vers le médecin scolaire pour lui signaler cela.

Dans ce cas et après examen, c’est le médecin scolaire qui a lui-même fait le signalement en envoyant la lettre au procureur de la République. Les parents étaient tout de même remontés contre moi, car ils savaient que j’étais à l’origine de la procédure. Tout en faisant le signalement, le médecin scolaire avait pu examiner l’enfant et échanger avec les parents. En pratique, le signalement se présente sous la forme d’un formulaire à remplir qui s’intitule « Lettre au procureur ». Une fois rempli, le formulaire est adressé au procureur dont dépend l’établissement scolaire.

Comme le médecin scolaire s’était chargé lui-même de faire le signalement, je n’ai pas été convoquée par la police pour témoigner de manière plus approfondie. J’ai toutefois échangé par la suite avec les parents et, avec le temps, la relation s’est apaisée. J’ai pu expliquer aux parents que, dans ce genre de situation, j’étais dans l’obligation de faire remonter cette information et de demander au médecin scolaire d’effectuer une visite. Il y a des enfants qui subissent des choses très graves et nous devons les protéger. En expliquant ces éléments aux parents, cela m’a permis de renouer le lien avec eux.

Le signalement protège l’enfant et parfois, cela peut amener à une prise de conscience des parents. Cette prise de conscience, quand elle existe, nous conforte dans l’idée que l’on a bien fait de signaler cette situation, même si cela reste un acte difficile. Il y a en effet des cas où cela est nécessaire de le faire pour assurer la protection de l’enfant. Lorsque il n’y a rien qui valide ces inquiétudes, le dossier est clos. Il ne faut donc pas hésiter.

La seconde situation concernait des faits similaires. Un enfant est arrivé à l’école avec des blessures et les témoignages des différents membres de la famille sur les raisons de ces blessures n’étaient pas concordants. J’ai donc appelé le médecin scolaire parce j’estime qu’il est important de ne pas faire le signalement seul. L’échange avec un autre professionnel est essentiel. Nous avons rédigé une lettre co-signée au Procureur. Cette expérience a été plus difficile à vivre que la première. En effet, j’ai vu les policiers venir chercher l’enfant à l’école puis je suis allée apporter mon témoignage au commissariat.

J’ai assez mal vécu ce signalement, je ressentais un profond malaise. J’essayais de me convaincre que j’avais fait ce qu’il fallait mais c’était très difficile. Le signalement est un acte moralement compliqué, parce que l’on acte les choses par écrit. Cela peut avoir pour des conséquences immédiates pour l’enfant comme, par exemple, le fait qu’il soit retiré à sa famille le soir même. Il faut être solide, il faut aussi garder à l’esprit que l’on fait cela dans l’intérêt de l’enfant, pour le protéger.

Que pourriez-vous conseiller à un personnel d’éducation se retrouvant confronté à l’obligation de procéder un signalement ?

D’abord, le conseil principal, c’est de ne pas le faire seul, notamment pour ne pas se sentir, par la suite, comme le seul « responsable ». Puis, en fonction des situations, bien sûr, il faut faire appel au médecin scolaire. C’est vraiment la première personne à contacter quand il y a des blessures.

À l’époque, je n’avais pas pensé à faire appel à L’ASL. Je savais qu’elle intervenait et que l’on pouvait lui demander de l’aide face aux attaques que l’on subissait. Mais je ne pensais pas que L’Autonome pouvait nous apporter son aide dans ce type de situations.

Honnêtement, je pense que ce sont des situations tellement difficiles qu’il est important d’en parler. À l’avenir, si je dois être à nouveau confronté à cela, je ferai certainement appel aux militants de L’ASL.  En effet, face à ces situations relevant du secret professionnel, je pense qu’il est nécessaire de se confier à des personnes avec qui on est en droit, en possibilité de parler, c’est très important.

*Par souci de confidentialité et compte tenu de la sensibilité de ces dossiers, ce témoignage restera anonyme.