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Entretien avec une ergonome Sorties scolaires : comment mieux prévenir les risques ?Crèches : comment faire face à une situation de maltraitance ?
Quels signes peuvent être évocateurs de maltraitances ? Comment repérer un petit enfant en danger ?
« Les très jeunes enfants de moins de 3 ans vont parler avec leur corps sans avoir encore une image bien définie d’eux-mêmes. Leurs symptômes sont plus somatiques […]. »
Les signes évocateurs sont probablement les mêmes pour tous, quel que soit le public mineur qu’on accueille. Les très jeunes enfants de moins de 3 ans vont parler avec leur corps sans avoir encore une image bien définie d’eux-mêmes. Leurs symptômes sont plus somatiques et les professionnels peuvent rencontrer des difficultés à les décrypter : est-ce qu’ils sont dans une recherche d’identité, dans des modes imitatoires naturels ou est-ce que véritablement ils ont besoin d’exprimer quelque chose ? C’est toute la complexité. Le très jeune enfant n’a pas l’intention de se confier, il ne va pas montrer ce qui le fait souffrir, mais il va déposer ce qu’il a besoin d’exprimer auprès d’adultes sécures. Et c’est pour cela qu’il faut être professionnellement disponible et offrir des environnements de sécurité affective pour laisser aux enfants cette possibilité de s’exprimer.
En petite enfance, comme partout ailleurs, on va distinguer le danger imminent du risque de danger. Les actions, les conduites à tenir ne sont pas les mêmes. Par exemple, ce qui est évocateur d’un danger imminent peut tenir dans les propos d’un parent. Des propos synonymes d’impuissance, de burn-out parental comme « J’ai envie de m’en débarrasser, je le passerai par la fenêtre. Ça ne peut pas durer. » Ces propos peuvent connoter une mise en danger rapide. Cela peut être aussi des lésions significatives, des blessures constatées sur le corps de l’enfant, des bleus, des brûlures, des plaies inexpliquées ou mal expliquées. Ce sont aussi des comportements troublants d’un parent, des discours incohérents, des difficultés pour parler, des défauts de vigilance, des troubles de l’équilibre, qui pourraient faire penser à de l’alcoolisation ou des prises de substances, des comportements atypiques qui nous interdisent de laisser partir l’enfant avec son parent. Ce sont des situations qui demandent une action immédiate de protection de l’enfant.
Ce sont les observations objectives des professionnels de crèche qui vont représenter des « clignotants » ou un faisceau d’éléments qui vont alerter. Des clignotants physiques comme des bleus répétés, sur des zones du corps particulières, des lésions… Des clignotants développementaux ou des changements de comportement. Les enfants qui allaient bien, et subitement se replient sur eux-mêmes, ne jouent plus, ne parlent plus, ne mangent plus, présentent des troubles du sommeil. Des changes qui deviennent difficiles. La peur, l’opposition, des gestes de protection du bras ou de la main lorsqu’on s’approche, une certaine lenteur des acquisitions psychomotrices ou un langage qui viendrait très tardivement. Il peut aussi s’agir de régressions. Un enfant propre qui d’un seul coup serait de nouveau incontinent. Des comportements atypiques, des changements relationnels avec les autres enfants, des jeux qui ont changé ou qui ont disparu. On peut observer aussi des mimétismes de scènes de violence, des attitudes ou des paroles qui sont complètement décorrélées avec l’âge, des mots grossiers répétés dès qu’il y a une opposition, des gestes obscènes. Autant de clignotants qui s’ajoutent les uns aux autres et forment un faisceau d’éléments.
Quand on parle de maltraitance, on pense aux abus sexuels, à la violence physique, à des signes qui se voient. D’autres peuvent être plus anodins. Je pense aux absences répétées des enfants, à l’absence de contact avec les parents. Mais aussi tout ce qui peut être observé dans la relation parent-enfant, comme des discordances d’explications ou des incohérences pour des incidents au domicile qui se seraient produits. Une lésion peut être expliquée une fois à cause d’une piqûre de moustique, puis par une chute le lendemain.
C’est parfois la multiplicité des éléments ou leur répétition qui doit alerter, en dehors de toute trace évidente.
Quelle conduite adopter si on pense qu’un petit enfant est en danger ou risque de l’être ? Faut-il attendre d’avoir des preuves pour effectuer une IP ou un signalement ?
« Chaque professionnel de la petite enfance peut agir individuellement comme le ferait n’importe quel citoyen, en son âme et conscience. »
Chaque professionnel de la petite enfance peut agir individuellement comme le ferait n’importe quel citoyen, en son âme et conscience. Mais les professionnels de crèche travaillent en équipe, ils sont incités fortement à agir collectivement, c’est-à-dire à se référer à leur protocole et évidemment en priorité à leur direction pour ne pas rester seuls, et que la décision soit relayée ou concertée. Certains gestionnaires décident que c’est la direction qui prend la décision d’action d’alerte. D’autres le font plutôt en concertation, en équipe. Mais de manière générale, en crèche, un professionnel observe et relaie à ses collègues et à sa direction ce qui a été observé dans des délais qui sont les plus brefs possibles, de manière à déterminer s’il s’agit d’un danger imminent ou non, pour distinguer le signalement d’une information préoccupante.
En cas de danger imminent, la première réaction est de déclencher un signalement au parquet sans en aviser les parents. Pour toutes les autres situations qui peuvent donner lieu à une information préoccupante, les parents sont avisés des préoccupations des professionnels. La rencontre avec les parents a pour objectif de saisir exactement de quoi il retourne et de laisser les parents s’exprimer. Le discours doit être centré uniquement sur ce que l’enfant montre, et non sur des hypothèses sur des causes. Nous devons rester très neutres. Nous partons de l’inquiétude que nous avons pour leurs enfants, pour discuter d’éventuelles difficultés parentales. L’objectif est de déterminer avec eux le type d’aide dont ils auraient besoin, et s’ils en font la demande. À la lumière de ces échanges et de leur compréhension d’agir pour le bien-être de leur enfant, on agit en conséquence.
Il est possible de s’orienter dans un premier temps vers des actions d’accompagnement préventives avec nos organismes de tutelle, les PMI (protections maternelles et infantiles, ndlr). Elles sont de véritables leviers d’écoute et d’accompagnement à la parentalité.
Avez-vous été confrontée à une situation nécessitant une IP ou un signalement au cours de votre carrière ?
« Une sortie de l’accueil en crèche est dommageable, car sans la crèche, plus rien ne se voit, ni ne se constate, et il devient impossible d’accompagner la famille. »
Il m’est arrivé régulièrement de devoir réaliser des signalements ou des informations préoccupantes. Par exemple, devoir faire un signalement et ne pas pouvoir rendre l’enfant à ses parents le soir même. Ce genre de situation exige beaucoup de réactivité et demande d’appliquer les consignes de la brigade des mineurs dans la journée.
Pour d’autres situations, il s’agit de recueillir les observations objectives et écrites d’un professionnel pour recevoir les parents le soir. Dans les situations auxquelles j’ai été confrontée, les parents ont été pour la plupart partie prenante de la nécessité d’actionner un service social de protection de l’enfance. De ce fait, ils n’ont pas mal réagi. Certains ont été reconnaissants et soulagés des décisions d’accompagnement qui ont été mises en place précocement après un signalement ou une information préoccupante.
Que ce soit pour des signalements ou des informations préoccupantes, les professionnels doivent comprendre leurs missions et leurs obligations. Pour certains, il n’est pas évident de relever des observations, car les professionnels en crèche entretiennent des relations de confiance quotidiennes avec les parents. Beaucoup de professionnels hésitent à alerter, parce qu’ils se sentent responsables des conséquences. Ils ont l’impression de casser quelque chose, de faire du mal aux familles.
Pour les professionnels, il s’agit de considérer que le travail d’accueil va se poursuivre avec ces familles. Il s’agit de garder du lien lorsque l’enfant va revenir à la crèche. Contrairement à l’école, la crèche n’est pas obligatoire, l’enfant peut sortir de la crèche du jour au lendemain. Une sortie de l’accueil en crèche est dommageable, car sans la crèche, plus rien ne se voit, ni ne se constate, et il devient impossible d’accompagner la famille. C’est ce qu’il faut absolument éviter. Le lieu d’accueil doit continuer à être un point d’ancrage pour l’enfant qui par ailleurs peut vivre beaucoup de bouleversements. Notre travail, c’est de faire en sorte de maintenir le lien avec l’enfant et ses parents. Les professionnels ont besoin d’accompagnement dans ce travail. Ils peuvent l’être grâce aux psychologues de crèche.
Ces questions sont-elles abordées dans la formation des personnels de crèche ?
« Faire une IP ou un signalement reste une décision difficile, on sait qu’elle a un impact. Je traite cette question des émotions que suscitent ces situations aussi pour les professionnels. »
Je crois qu’en formation initiale, on apprend les rôles et places des différentes institutions, les circuits d’accompagnement et de prévention ainsi que les conduites précises à tenir à partir des signaux d’alerte. Les départements organisent aussi des actions de sensibilisation et de formation accessibles à tous les professionnels.
Mes interventions auprès des professionnels de la petite enfance abordent aussi l’accompagnement à la parentalité que l’on se doit de mettre en œuvre en petite enfance. J’aborde bien entendu ce que représente la maltraitance pour le jeune enfant, les impacts pour sa santé et son développement psychique à la lumière des neurosciences.
En formation, je détaille aussi les signaux d’alerte pour sensibiliser les professionnels à ce qui pourrait leur échapper, notamment le sujet de l’exposition des enfants à la violence conjugale. C’est un sujet important à déconstruire tant il a des impacts pour les enfants.
Faire une IP ou un signalement reste une décision difficile, on sait qu’elle a un impact. Je traite cette question des émotions que suscitent ces situations aussi pour les professionnels. Cela peut être tellement difficile, voire insoutenable d’imaginer que le parent que l’on croise matin et soir puisse maltraiter l’enfant qu’on accueille. J’ai rencontré beaucoup de professionnels, notamment en analyse de pratique, qui ont besoin de se confier sur ce qu’ils ont vu ou entendu. Ils disent souvent que ce n’est pas possible. Il y a une sorte de déni.
Je forme aussi les professionnels à l’écoute de ce que l’enfant dit, à la réponse qui lui est faite. Car des réponses maladroites peuvent limiter la parole ou l’expression corporelle de l’enfant. Des réactions d’adultes inadéquates peuvent risquer d’ajouter au traumatisme de l’enfant ou de compromettre le déroulement d’une situation.
Quel conseil donneriez-vous à un personnel d’EAJE qui hésiterait à faire une IP ou un signalement par peur de représailles de la part de la famille ?
« Le message clé est que le doute doit toujours profiter à l’enfant. »
Le message clé est que le doute doit toujours profiter à l’enfant. Les professionnels doivent se fier à ce qu’ils observent et entendent objectivement. Ils ne sont pas des enquêteurs. Ils ne doivent pas attendre de « preuve absolue », ne pas attendre qu’un fait se reproduise, que l’enfant remontre ou redise ce qu’il a vécu.
Les professionnels de la petite enfance doivent partager leurs doutes rapidement. Ne pas rester seul, pouvoir se référer à un cadre de travail, à des procédures pour la protection de l’enfance.