Des enseignants de disciplines générales qui s’interrogent

Au centre de la réforme se trouve l’objectif d’améliorer le taux d’intégration de l’enseignement professionnel, et pour cela de rapprocher formations et filières professionnelles. Cela vient pourtant dans les faits questionner la pertinence même des enseignements généraux, qui doivent de plus en plus être mis au service des futures pratiques professionnelles des élèves.

L’exemple phare de cette nouvelle approche est l’introduction d’heures de co-intervention, censées rendre plus concrets les apprentissages théoriques. Si les enseignants de lycée professionnel veillent depuis toujours à lier théorie et pratique, il existe aujourd’hui un risque réel pour les disciplines générales de n’être plus perçues que comme des outils au service des métiers. Et si tel était le cas, cela fragiliserait la position des enseignants concernés aux yeux des élèves.

Autre signe tangible de cette inflexion : la réduction horaire du français, histoire-géographie et éducation morale et civique apportée par la réforme. De quoi soulever des craintes légitimes chez les enseignants de ces disciplines générales sur la pérennité même, à terme, de leur poste.

 

Une mixité des publics qui engendre des conflits de niveau et d’autorité

La réforme apporte également la possibilité d’ouvrir, au sein même des lycées professionnels, des unités de formation des apprentis. Une comparaison entre deux mondes dont pourrait souffrir la voie scolaire, cela d’autant plus que la nouvelle classe de seconde organisée en « familles de métiers » (et non directement spécialisée) engendrera moins d’heures d’atelier auprès d’élèves qui bien souvent en sont très demandeurs.

Ce sont là aussi les enseignants qui se retrouvent en première ligne, non seulement pour expliquer une réforme qui n’est pas de leur fait, mais aussi pour gérer les comportements agressifs auxquels peut donner lieu la frustration des élèves. Des conflits qui, plus largement, peuvent s’avérer difficiles à gérer car ils n’ont autorité que sur les élèves sous statut scolaire, les apprentis relevant, de leur côté, du chef d’entreprise qui les a embauchés.

Mais surtout, dans ce cadre mixte, comment mener une pédagogie commune lorsqu’une partie des élèves n’assiste, du fait de sa présence plus forte en entreprise, qu’à une fraction des cours ? À niveaux différents, besoins différents, ce qui peut être un vrai casse-tête pour les enseignants, forcés d’adapter leurs cours.

 

De nouveaux dispositifs qui viennent empiéter sur le temps personnel

Outre les dispositifs nouveaux, tels que les heures de co-intervention ou – autre nouveauté remarquée – la réalisation d’un chef-d’œuvre pour chaque élève, il faut pour les enseignants consacrer du temps à leur préparation et à leur suivi. Un temps qui ne figure que rarement dans leur emploi du temps officiel.

C’est particulièrement vrai pour la co-intervention, déjà mal accueillie par beaucoup car dictée par des contraintes d’agenda dans le choix des binômes, plus que par les réelles affinités personnelles ou de projet. Les enseignants concernés doivent donc dégager un temps parfois conséquent pour imaginer ensemble un projet pédagogique commun. Et s’il existe bien quelques formations prévues par le ministère, celles-ci se déroulent essentiellement en ligne sur M@gister plutôt qu’en présentiel, et se font donc sur le temps personnel, au détriment de la vie familiale.

Le chef-d’œuvre, enfin, met une vraie pression sur les équipes enseignantes. Il s’agit là aussi d’un exercice nouveau, dont le suivi et la coordination s’ajoutent à des emplois du temps déjà lourds. Avec derrière un enjeu fort non seulement pour l’élève, qu’il s’agit d’encadrer et de ne pas décevoir, mais aussi de l’établissement dont ces chefs-d’œuvre pourraient, demain, constituer la vitrine… Si bien sûr les enseignants trouvent eux-mêmes les ressources dont ils ont grandement besoin.