Des enseignants plus inquiets que jamais

« Dans un climat où les faits de harcèlement, les insultes et les menaces à leur égard semblent se multiplier, les enseignants disent leur mal-être et leur sentiment de ne plus être suffisamment respectés. »

De Conflans à Arras, des événements dramatiques ont affecté ces dernières années l’institution scolaire et l’ensemble des acteurs du monde éducatif. D’autres faits de violences, parfois plus anecdotiques, mais abondamment relayés par les médias, ont contribué à alimenter au niveau national le sentiment que les personnels d’éducation sont devenus des cibles, autant pour les élèves que pour les familles.

Il s’installe ainsi, chez les personnels, l’idée que l’École n’est plus un sanctuaire. Dans un climat où les faits de harcèlement, les insultes et les menaces à leur égard semblent se multiplier, les enseignants disent leur mal-être et leur sentiment de ne plus être suffisamment respectés. Née il y a quelques années avec le hashtag #PasDeVague face à l’atonie générale, la question du malaise est désormais régulièrement évoquée dans le débat public.

Une préoccupation confirmée par le baromètre de L’ASL

« Si le sentiment d’agression est plus fort, les faits de violence déclarés semblent eux relativement stables sur le temps long. »

Le baromètre de L’ASL 2022 sur le climat scolaire montre que plus de 75 % des dossiers de protection juridique ouverts dans le cadre de l’accompagnement de ses adhérents concernent une agression ou « un sentiment d’agression ». En hausse de 4 points par rapport à l’édition 2021, cet indicateur démontre bien que le sujet préoccupe les personnels d’éducation.

Si le sentiment d’agression est plus fort, les faits de violence déclarés semblent eux relativement stables sur le temps long. Ce sont les diffamations, à hauteur de 33 %, et les insultes et menaces (32 %) que l’on retrouve au tout premier plan. Ces deux catégories restent donc les plus importantes, ce qui permet de relever un climat scolaire continuellement défavorable et pesant. Les agressions représentent, quant à elles, 9,3 % des dossiers. Ainsi, la rétrospective de L’ASL portant sur les cinq dernières années montre qu’il n’y a pas eu d’amélioration quant au nombre de dossiers d’agressions, qu’elles soient physiques ou verbales. D’ailleurs, comme le rappelle Jean-Louis Linder, Vice-président de L’ASL dans le baromètre 2021 sur le climat scolaire  : « L’école n’est pas un lieu où les enseignants sont attaqués violemment tous les jours, mais un lieu où les problèmes journaliers sont extrêmement présents et pesants. »

Face à cette situation, les comportements des personnels d’éducation ont évolué. Les demandes de protection juridique ont connu une légère baisse tandis que celles de renseignements juridiques ont augmenté. Autrement dit, les personnels réagissent plus en amont. Pour Jean-Louis Linder, dans le baromètre de L’ASL 2022, « le débat public, plus accentué sur la protection des personnels, tout comme la prévention menée par L’ASL auprès de ses adhérents ont pu inciter les personnels à avoir le bon réflexe de l’alerte précoce, pour agir avant que la situation ne dégénère. »

Un climat qui se dégrade, des violences physiques qui restent rares

« Bien que la relation aux élèves ne se soit pas détériorée et reste à un niveau positif […], le climat scolaire est lui perçu comme s’étant fortement dégradé entre 2013 et 2022. »

Dix ans, c’est pratiquement la durée qui sépare les deux volets d’une autre étude menée par L’ASL, en 2013, puis en 2022 : la plus vaste enquête auprès des personnels jamais réalisée en France sur le climat scolaire dans le second degré. Conduite par les chercheurs Éric Debarbieux et Benjamin Moignard, avec le soutien de la CASDEN Banque Populaire, cette enquête a livré ses premiers résultats en 2022.

Elle abonde dans le sens des éléments évoqués précédemment. Bien que la relation aux élèves ne se soit pas détériorée et reste à un niveau positif, avec 80,1 % des répondants de 2022 qui estiment que la relation entre enseignants et élèves est bonne ou plutôt bonne (contre 78,2 % en 2013), le climat scolaire est lui perçu comme s’étant fortement dégradé entre 2013 et 2022, passant de 37,8 % d’insatisfaits à 50,7 %. Avec 56 % de personnels insatisfaits sur ce point, les lycées professionnels sont les plus touchés, contre 41 % en lycée d’enseignement général et technologique (LEGT) et 54 % en collège.

Pour autant, le sentiment global qu’il existe de la violence au sein des établissements n’a pas évolué. Celui-ci reste très présent pour un peu moins d’un tiers des personnels, et cela bien que le nombre de violences physiques demeure relativement faible.

Une violence sociétale qui se retrouve à l’école

« L’école n’est pas une forteresse hors du monde social : si le climat et les conditions d’exercice du métier d’enseignant se dégradent, cela est aussi lié à des facteurs externes. »

Bien que relativement peu fréquentes, ces situations de violence physique n’en restent pas moins traumatisantes. Sur un autre plan, insultes, harcèlement ou diffamation sont autant d’épreuves plus courantes qui témoignent elles aussi d’un climat scolaire de plus en plus tendu au sein des établissements.

Il faut souligner que l’école n’est pas une forteresse hors du monde social : si le climat et les conditions d’exercice du métier d’enseignant se dégradent, cela est aussi lié à des facteurs externes. La crise sanitaire a notamment joué un rôle d’amplificateur des inégalités sociales, dans un climat de plus en plus anxiogène et encore alourdi par une inflation qui a pesé sur la vie de nombreux foyers.

Dans ce climat social détérioré, toujours plus propice aux difficultés pour les élèves et aux tensions avec les familles, les enseignants se trouvent de plus en plus souvent face à des situations conflictuelles. C’est d’ailleurs la première cause de demande de renseignements juridiques auprès de L’ASL en 2022, avec 29 % des cas qui concernent un conflit. Une proportion en hausse constante depuis 2019, avec des parents de plus en plus procéduriers.

Depuis 2019, un plan de lutte qui renforce les dispositifs existants

« La circulaire du 5 septembre 2019 publiée dans le Bulletin officiel de l’Éducation nationale venait rappeler que les personnels d’éducation bénéficient du statut juridique particulier de “personne chargée d’une mission de service public”, aggravant le cas échéant la qualification pénale des faits de violence commis à leur encontre. »

De son côté, le ministère de l’Éducation nationale a présenté en 2019 un plan de lutte contre les violences scolaires. D’emblée, l’idée d’une présence policière systématique au sein des établissements a été écartée, car souvent mal vécue par les enseignants eux-mêmes lors des expérimentations. Elle pouvait donner l’impression d’une double violence à l’égard des élèves : celle d’une école qui ne leur donne pas les moyens de réussir, et celle d’une institution policière qui s’impose au lycée.

De façon plus consensuelle, le plan prévoyait, dans ses principales mesures, d’accroître la collaboration entre Justice, Éducation nationale et ministère de l’Intérieur, d’instaurer des référents « violence » dans chaque département, de mieux accompagner les professeurs victimes de violences, ainsi que de donner la possibilité d’inscrire les élèves les plus perturbateurs et poly-exclus dans des classes relais sans l’accord de leur famille.

En outre, la circulaire du 5 septembre 2019 publiée dans le Bulletin officiel de l’Éducation nationale venait rappeler que les personnels d’éducation bénéficient d’un statut juridique particulier de « personne chargée d’une mission de service public », aggravant le cas échéant la qualification pénale des faits de violence commis à leur encontre. Le texte précise en effet que toute incivilité, toute atteinte ou tout autre fait grave perpétrés contre un personnel de l’Éducation nationale doit systématiquement faire l’objet d’une réponse de la part de l’institution.

À cet effet, le ministère de l’Éducation a d’ailleurs rédigé une série de guides d’accompagnementdestinés à mieux informer les personnels des moyens mis à leur disposition et à les accompagner dans leurs démarches en cas d’agression ou de mise en cause abusive à leur encontre.

Il reste toutefois nécessaire de mettre en place des solutions pour que l’établissement demeure un lieu aussi protégé que possible des intrusions. Les nouvelles équipes mobiles de sécurité, en liaison avec le chef d’établissement, doivent ainsi venir renforcer les équipes éducatives. Elles doivent pouvoir assurer la sécurité des personnes et des biens dans les établissements et à leurs abords immédiats par des contrôles, de la dissuasion et une prise en charge temporaire de l’entrée de l’établissement.

Face à des manques structurels, un réseau associatif mobilisé

« Le rôle d’un acteur comme L’ASL est à la fois d’agir en prévention et d’être à leur écoute. »

Il demeure également des problèmes structurels, comme le manque de classes relais au regard des besoins. Pour Benjamin Moignard, sociologue à CY Cergy Paris Université et spécialiste des violences en milieu scolaire, mettre en avant ces problématiques relève « plutôt de l’affichage », dans un contexte où « il y a eu quatorze plans violences depuis le milieu des années 90 ».

De la même manière, la question pourtant fondamentale de la stabilisation des effectifs dans les établissements les plus difficiles, où le « turnover » est souvent plus important qu’ailleurs, n’est toujours pas traitée. Cela, alors que la construction d’une équipe éducative solide est un facteur clé pour le climat scolaire, à plus forte raison à un moment où les enseignants se sentent souvent seuls : nombre d’entre eux disent manquer de soutien de la part de leur hiérarchie au niveau des rectorats et du ministère de l’Éducation.

Face à des réponses institutionnelles qui restent insuffisantes, le réseau associatif se mobilise naturellement pour venir en aide aux personnels d’éducation. Qu’ils soient victimes de violences ou simplement en recherche d’information, le rôle d’un acteur comme L’Autonome de Solidarité  Laïque est à la fois d’agir en prévention et d’être à leur écoute. Pour les cas les plus graves, L’ASL les accompagne et peut les orienter vers l’avocat-conseil de la délégation : c’est lui qui pourra les épauler en cas de procédure judiciaire.

Plus largement, dans un contexte où l’agression verbale l’emporte trop souvent sur la parole raisonnée, il est nécessaire de placer devant des élèves en mal de reconnaissance des enseignants préparés à l’atténuation du conflit et à la gestion des crises. Des enseignants mieux formés, au-delà de la discipline qu’ils enseigneront, aux situations humaines, aux dysfonctionnements sociaux qu’ils rencontreront dans leur métier. Les militants de L’ASL le savent bien et c’est pourquoi, en s’appuyant sur la convention de partenariat signée avec le ministère de l’Éducation nationale, ils donnent accès à de l’information et à des formations sur ces sujets.

Sources

Baromètre 2022 de L’ASL

Baromètre 2021 de L’ASL

Baromètre 2019 de l’ASL

Étude climat scolaire 2013 et 2022 de L’ASL

Circulaire n° 2019-122 du 3 septembre 2019: Prévention et prise en charge des violences en milieu scolaire

Étude Militens, FSU/CERAPS, DEPP, 2018

Enquête Sivis 2019-2020, DEPP : Résultats auprès des établissements publics et privés sous contrat du second degré

« Menaces, injures, agressions : l’inquiétude du monde enseignant face à des violences difficiles à mesure»r, Le Monde, 9 janvier 2024

« Face aux violences scolaires, “un plan sécurité” réduit au minimum », Le Monde, 28 août 2019

« Violence scolaire : “Les mesures envisagées sont inadéquates et même contre-productives”», Le Monde, 14 novembre 2018

À consulter

Guide d’accompagnement pour les personnels de l’éducation en cas d’incivilité ou d’agression dans le cadre des fonctions – À destination des personnels du 1erdegré (PDF)

Guide d’accompagnement pour les personnels de l’éducation en cas d’incivilité ou d’agression dans le cadre des fonctions – À destination des personnels du 2nddegré (PDF)

Guide d’accompagnement des personnels de l’éducation visés par un dépôt de plainte (PDF)