L’exposition croissante des personnels à des actes de cyberharcèlement nécessite une vigilance accrue et une réponse adaptée à la gravité des faits. A cet égard, l’arsenal pénal existant complété récemment par les dispositifs de la loi SREN vont dans ce sens. Le point avec Me Florence LEC, avocat conseil national de L’ASL.

Harcèlement en ligne : un arsenal pénal renforcé pour la protection des personnels

“ En cas de « cyberharcèlement », la peine est portée à deux ans d’emprisonnement et à 30 000 € d’amende. Ces peines peuvent aller jusqu’à 3 ans et 45 000 € si deux circonstances aggravantes sont retenues. ”

La lutte contre le harcèlement des personnels et plus généralement les atteintes en ligne a été renforcée ces dernières années par un panel d’infractions, au premier rang desquels le harcèlement moral en ligne dit « cyberharcèlement » et plus récemment le délit de mise en danger de la vie d’autrui par diffusion d’information relatives à la vie privée, professionnelle et personnelle.

L’article 222-33-2-2 du code pénal réprime le harcèlement en ligne :

Cet article réprime les faits de harcèlement notamment “lorsqu’ils sont commis par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne ou par le biais d’un support numérique ou électronique”.

Pour mémoire, est constitutif de harcèlement moral « le fait de harceler une personne par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale ».

Le texte permet en outre de sanctionner le « harcèlement en meute » lorsque plusieurs auteurs visent une même victime de manière concertée ou successivement, même si chacun n’agit pas de façon répétée. Ce peut être la situation vécue par un personnel pris pour cible par des groupes en ligne.

En cas de « cyberharcèlement », la peine est portée à deux ans d’emprisonnement et à 30 000 € d’amende. Ces peines peuvent aller jusqu’à 3 ans et 45 000 € si deux circonstances aggravantes sont retenues.

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À noter :

Alors que la loi prévoit une circonstance aggravante lorsque la victime est titulaire d’un mandat électif, on regrette que le législateur n’en ait pas fait de même pour les agents chargés d’une mission de service public.

Le délit de mise en danger de la vie d’autrui par diffusion d’information relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle, est un volet pénal complémentaire aux attaques en ligne contre les personnels de l’Éducation qui a été créé par la loi N° 2021-1109 du 24 août 2021 à la suite du drame de l’assassinat du professeur PATY.

La pratique de divulguer des données personnelles mettant en danger la vie d’autrui dans l’intention de nuire, communément appelée « le doxxing » est un délit pénal.

Ce délit est défini à l’article 223-1-1 du Code pénal, comme étant : « Le fait de révéler, de diffuser ou de transmettre, par quelque moyen que ce soit, des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ou de la localiser aux fins de l’exposer ou d’exposer les membres de sa famille à un risque direct d’atteinte à la personne ou aux biens que l’auteur ne pouvait ignorer ».

Pour que le délit soit constitué, il est nécessaire de réunir les éléments suivants :

  • un acte de révéler, diffuser ou transmettre des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne ;
  • des informations qui doivent permettre d’identifier ou de localiser cette personne ou les membres de sa famille.
  • un acte qui doit avoir pour finalité d’exposer la victime ou ses proches à un risque direct d’atteinte à leur intégrité physique, psychique, ou à leurs biens. Ce dernier point est d’ailleurs important car il doit être démontré que l’auteur de l’infraction a agi intentionnellement, c’est-à-dire avec la volonté que son acte expose la victime ou ses proches à un risque direct, ce qui n’est pas toujours simple à démontrer devant la juridiction !

La sanction encourue pour ce délit est de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

Contrairement à l’infraction de harcèlement en ligne, on observe que les peines sont aggravées lorsque les faits sont commis au préjudice d’une personne chargée d’une mission de service public puisqu’elles sont portées à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.

Certaines pratiques associées au harcèlement en ligne peuvent également relever d’autres infractions, telles que l’atteinte à la vie privée (articles 226-1 et suivants du Code pénal), qui réprime l’enregistrement, la conservation ou la diffusion d’informations touchant à la vie privée d’autrui sans consentement ; mais aussi l’infraction de provocation publique à la commission de crimes ou délits (article 24 de la loi du 29 juillet 1881), notamment lorsque la diffusion vise à inciter à des actes violents contre le personnel, ce qui fut récemment le cas du proviseur du Lycée parisien Maurice Ravel, victime d’un véritable « déchainement » contre lui sur le réseau X.

La loi SREN du 21 mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique, un renforcement de la protection des personnels

“ La loi n° 2024-449 du 21 mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique dite Loi SREN marque un tournant dans la régulation de l’espace numérique français et dans la lutte contre les violences en ligne. ”

La loi n° 2024-449 du 21 mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique dite Loi SREN marque un tournant dans la régulation de l’espace numérique français et dans la lutte contre les violences en ligne.

La loi « visant à sécuriser et réguler l’espace numérique » (SREN) entend « restaurer la confiance nécessaire au succès de la transition numérique » en installant une cybersécurité anti-arnaque, en durcissant les sanctions contre le cyberharcèlement, en restreignant l’accès aux sites pornographiques et en intensifiant la lutte contre la désinformation et les ingérences étrangères. Parmi le dispositif mis en place, certaines actions sont de nature à mieux protéger les personnels d’éducation.

Lutter contre les arnaques

La loi SREN déploie un « filtre de cybersécurité anti-arnaque » destiné à protéger contre les accès frauduleux aux coordonnées personnelles. Ce dispositif qui doit être précisé par décret permettra aux

personnes qui reçoivent un SMS ou un courriel frauduleux d’être alertées, dès qu’elles se dirigent vers un site malveillant.

Ce filtre pourra constituer un outil supplémentaire au service des personnels victimes d’hameçonnage et d’usurpation d’identité.

Renforcer la répression des violences numériques

Le texte renforce « les sanctions contre le cyberharcèlement », ce qui favorise une meilleure réponse pénale lorsque des personnels sont pris pour cible en ligne.

Les juridictions peuvent désormais condamner l’auteur à une peine complémentaire de suspension ou « peine de bannissement » des réseaux sociaux pour six mois ; un an en cas de récidive. Le réseau social s’expose quant à lui à une peine d’amende de 75 000 euros s’il ne procède pas au blocage du compte suspendu. Par ailleurs, cette peine peut également être prononcée comme alternative aux poursuites.

En outre, la loi SREN vient accroitre la répression des « deepfakes » (images ou paroles générées par l’intelligence artificielle) pouvant servir à diffamer, humilier ou usurper l’identité des personnes, notamment des personnels de l’Éducation nationale.

La loi crée de nouvelles incriminations aux articles 226-8 et 226-8-1 du code pénal :

Ainsi, l’article 226-8 du code pénal prévoit une peine d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende à l’encontre de celui qui « fait porter à la connaissance du public ou d’un tiers, par quelque voie que ce soit, le montage réalisé avec les paroles ou l’image d’une personne sans son consentement, s’il n’apparaît pas à l’évidence qu’il s’agit d’un montage ou s’il n’en est pas expressément fait mention. »

Par ailleurs, est assimilé à cette infraction et puni des mêmes peines « le fait de porter à la connaissance du public ou d’un tiers, par quelque voie que ce soit, un contenu visuel ou sonore généré par un traitement algorithmique et représentant l’image ou les paroles d’une personne, sans son consentement, s’il n’apparaît pas à l’évidence qu’il s’agit d’un contenu généré algorithmiquement ou s’il n’en est pas expressément fait mention. »

Ces peines sont portées à « deux ans d’emprisonnement et à 45 000 euros d’amende lorsque les délits prévus au présent article ont été réalisés en utilisant un service de communication au public en ligne. »

Des peines plus sévères sont prévues à l’article 226-8-1 du code pénal pour des montages à caractère sexuel.

Enfin, le texte crée le délit « d’outrage public en ligne », réprimant la diffusion en ligne de contenus portant atteinte à la dignité ou créant une situation intimidante, hostile ou offensante à l’encontre d’une personne ; la peine prévue est d’un an d’emprisonnement de 3750 euros d’amende.

Toutefois, après avoir été saisi par un groupe de parlementaires, le conseil constitutionnel dans sa décision n°2024-866 DC du 17 mai 2024 a censuré la création du délit d’outrage en ligne.

Les Sages ont en effet considéré que la conciliation opérée par la loi SREN entre la liberté d’expression et de communication et la protection des droits des tiers n’était ni adaptée, ni proportionnée à l’objectif poursuivi.

Des formations de sensibilisation dans les établissements scolaires

La loi SREN prévoit en outre un dispositif de sensibilisation destinée notamment aux collégiens sur des sujets tels que l’intelligence artificielle, les risques liés aux outils numériques et aux contenus générés par l’intelligence artificielle et la lutte contre la désinformation.

Les personnels pourront également bénéficier d’une attestation de leurs compétences numériques professionnelles.

Une information annuelle sur l’apprentissage de la citoyenneté numérique sera également dispensée au début de chaque année scolaire aux représentants légaux des élèves par un membre de l’équipe pédagogique.

Enfin, la loi SREN prévoit que la formation comporte une sensibilisation à la citoyenneté numérique, aux droits et aux devoirs liés à l’utilisation d’internet et des réseaux sociaux, à la prévention des cyberviolences sexistes et sexuelles et à l’usage des dispositifs de signalement de contenus illicites mis à disposition par les plateformes.

Ces formations, qui devront une fois plus mobiliser les personnels, devraient permettre aux élèves et à leurs parents de mieux appréhender l’environnement numérique et ses dangers, sensibilisation qui, gageons-le sera de nature à dissuader ces derniers de toutes atteintes numériques contre les personnels !

Pour protéger efficacement les personnels d’éducation face au harcèlement et plus généralement aux atteintes en ligne, la loi SREN offre des leviers complémentaires au dispositif pénal existant : prévention technique à travers un filtre de cybersécurité, répression renforcée par le « bannissement numérique » ou des incriminations nouvelles, et enfin la prévention par la sensibilisation

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Les conseils de L’ASL

Dans le cadre de harcèlement et plus largement d’atteinte en ligne, plusieurs réflexes doivent être adoptés :

  1. Conservez les preuves ; faites rapidement des captures écran et un constat d’huissier. Il est important de conserver tout élément permettant de matérialiser l’infraction (messages, profils, liens …) ce qui est déterminant pour engager utilement les poursuites ou même saisir la hiérarchie
  2. Il conviendra en outre de signaler les contenus/comptes non seulement aux plateformes mais aussi et préalablement à votre hiérarchie qui contactera sans délai le rectorat lequel pourra alerter les services du procureur de la République.
    Dans des dossiers sensibles, que nous avons d’ailleurs eu à gérer à l’ASL, le pôle national de lutte contre la haine en ligne, crée depuis 2021 et qui a une compétence nationale, sera saisi.
  3. En tout état de cause, contactez rapidement L’ASL afin d’obtenir les conseils d’un militant de votre délégation qui vous orientera vers les premières démarches nécessaires à effectuer avec votre hiérarchie (faits, établissement, demande de protection fonctionnelle etc…).

L’ASL pourra vous orienter ensuite vers l’avocat-conseil pour toutes démarches ou procédures judiciaires à engager si nécessaire.

Cas Pratique – Pauline K., directrice d’école victime de harcèlement en ligne par une mère d’élève

Le contexte :

Dans une école élémentaire, Pauline K. directrice, se trouve confrontée à une situation de harcèlement émanant d’une mère d’élève. Cette dernière remet constamment en question le travail de l’enseignante de son fils ainsi que celui de la directrice, allant jusqu’à multiplier les reproches, les accusations infondées sur les réseaux sociaux et les mails relatant des faits mensongers qui mettent en cause Pauline K.

L’IEN (Inspecteur de l’Éducation nationale) est déjà intervenu à plusieurs reprises pour rappeler à la mère que l’équipe éducative accomplit son travail avec sérieux, efficacité et probité. Malgré ces interventions, la pression exercée sur la directrice ne faiblit pas.

Face à l’ampleur du conflit, une réunion est programmée entre l’Inspectrice de l’Éducation nationale, la mère de famille et la directrice. L’Inspectrice envisage la solution d’un changement d’établissement pour l’élève, afin d’apaiser la situation. Toutefois, si la mère refusait ce transfert, le harcèlement risquerait de se poursuivre. Pauline K. a sollicité les conseils de L’ASL à laquelle elle adhère depuis ses débuts.

L’accompagnement de L’ASL

Des conseils et des renseignements juridiques professionnels

Pauline K. a contacté L’ASL pour obtenir des premiers éléments de réponse face à sa situation. Lors d’un premier échange téléphonique, un militant de sa délégation, l’a écoutée, rassurée et lui a rappelé ses droits.

Il lui a été confirmé que la situation décrite pouvait relever du harcèlement moral en ligne. Trois points renforcent la caractérisation de l’infraction :

Le volume des messages reçus : la directrice est submergée par un grand nombre de courriels et de SMS agressifs et accusatoires.
Les propos mensongers : des messages postés sur le compte public de la mère contiennent des affirmations inexactes mettant en cause son intégrité professionnelle
L’ampleur des personnes visées : au-delà de la directrice, une collègue et deux autres familles subissent également ce climat délétère.

Ces éléments viennent renforcer les caractéristiques du harcèlement moral rendant une plainte d’autant plus recevable.

Le militant de L’ASL lui a ensuite conseillé de signaler les faits par écrit au DASEN, et d’effectuer un signalement au registre RSST (santé sécurité au travail) compte tenu de l’impact que cette situation avait sur sa santé mentale. Il l’a épaulée dans cette démarche.

Il lui a également rappelé la nécessité de solliciter la protection fonctionnelle afin que le Rectorat prenne conscience de la situation de harcèlement moral dans laquelle elle se trouve, et de demander la prise en charge de ses frais d’avocats s’il y avait un dépôt de plainte.

NB : Le recteur peut décider de saisir le procureur de la république.

L’ASL a insisté sur l’importance de conserver et d’archiver tous les courriels, captures d’écran de SMS, message vocaux reçus, témoignages, … afin de constituer un dossier solide en cas de dépôt de plainte.

Un accompagnement de bout en bout

Le délégataire est resté en lien avec la directrice pour suivre l’évolution de la situation et lui permettre, si la mère venait à refuser le changement d’établissement et persistait dans son comportement abusif, de rencontrer un avocat-conseil spécialisé dans le cadre d’une consultation juridique.

Conformément à ses droits en tant que fonctionnaire d’État, Pauline K. a sollicité la protection fonctionnelle auprès du rectorat. L’ASL l’a accompagnée dans cette demande.

L’intervention de l’avocat-conseil

La mère ayant finalement refusé le changement d’établissement et n’ayant pas cessé de harceler Pauline K., un rendez-vous de consultation juridique a été fixé avec l’avocat-conseil de sa délégation

Ce dernier a confirmé les caractéristiques du harcèlement en ligne et a aidé Pauline K. à rédiger son dépôt de plainte.

Il sera à ses côtés pour l’accompagner si une audience devait avoir lieu.

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