Quel est le rôle de votre direction ?

L’objectif premier à sa création, en 2014, était de créer une vraie direction du numérique, à même de proposer une politique cohérente et transversale pour accompagner la transformation numérique de notre système éducatif.

Concrètement, nous agissons sur deux volets. D’abord, le numérique éducatif, autrement dit l’intégration du numérique dans la classe et dans les pratiques pédagogiques, accompagnée de son corollaire : la gestion des systèmes d’information et le pilotage des outils numériques.

Quels sont, notamment avec la crise sanitaire et l’enseignement à distance, les derniers dispositifs qui ont été mis en place concernant le numérique ?

Suite au confinement, nous avons assisté à une explosion sans précédent de l’usage du numérique. C’est pourquoi nous avons mis en place les États généraux du numérique pour l’éducation : nous voulions avoir tous les éléments pour bien cibler à la fois les pratiques et les attentes.

Nous avons aussi lancé, dès septembre, les premiers Territoires numériques éducatifs (Aisne et Val-d’Oise) afin de tester le déploiement d’équipements numériques, de contenus pédagogiques et de dispositifs de formation pour les professeurs et les familles. Trois dimensions clés, qu’il est important de bien articuler.

 

Concrètement, comment réduire la fracture numérique qui persiste aussi bien chez les élèves que chez les enseignants ?

Il y a d’abord l’enjeu de l’équipement, qui est central. Nous nous sommes aperçu pendant le confinement que 5 à 10 % des élèves étaient concernés par ce problème, selon les territoires, soit 600 000 au niveau national. Nous avons aussi voulu agir pour équiper les enseignants en mettant en place une prime d’équipement informatique.

Nous construisons une politique ciblée, notamment pour le 1er degré qui était jusqu’à présent sous-doté en matière d’équipement numérique, et qui va bénéficier dans le cadre du plan de relance d’un appel à projets à hauteur de 105 millions d’euros.

 

Face aux défis du numérique, qu’a prévu l’institution en termes de formation pour les enseignants ?

Nous affinons les dispositifs à distance existants, notamment via la plateforme M@gistère : formations longues, courtes, mentorats… Il s’agit non seulement de former au numérique lui-même, mais aussi de former véritablement à l’enseignement par le numérique.

Parmi les propositions des États généraux du numérique sur lesquelles nous allons travailler, nous souhaitons renforcer le rôle du réseau Canopé pour la formation continue, et mettre l’accent sur la certification des compétences via le référentiel Pix.

 

Justement, quel bilan tirez-vous de ces États généraux du numérique pour l’éducation ?

Nous avons abouti à quarante propositions, regroupées en cinq grandes thématiques. Parmi les grandes directions que je retiens, il y a le besoin de continuité de l’activité administrative et pédagogique, avec un plan prévu pour chaque établissement. C’est structurant et très important, comme on a pu le voir lors du confinement.

 

Y a-t-il d’ores et déjà des avancées observables par les personnels éducatifs ?

Il y a par exemple la plateforme apps.education.fr que nous avons développée durant le confinement. Elle centralise des outils collaboratifs à destination des enseignants : interface vidéo, espace de stockage, mini-blog… C’est une offre sur laquelle nous continuons de travailler pour la renforcer et mettre à disposition davantage d’outils pour les agents.

Sur l’aspect visioconférence en particulier, nous sommes en train de développer un outil spécifique pour le ministère. Et dans le cadre des Territoires numériques éducatifs, nous testons des dispositifs hybrides entre l’enseignement présentiel et à distance, notamment pour les élèves ne pouvant pas venir en classe : dans cette perspective, les lycées de ces territoires sont déjà tous équipés de matériel vidéo.

 

Quid de l’évaluation de ces nouveaux outils, dont certains ont connu des difficultés au démarrage, ainsi que de la gestion des données qui y transitent ?

Nous intégrons évidemment des éléments d’évaluation pour savoir si ces ressources répondent bien aux besoins. Nous attachons aussi une importance particulière à concevoir des outils pensés pour les enseignants, en travaillant avec des designers d’expérience et dans une démarche itérative.

Concernant les données collectées, c’est un point majeur de notre réflexion étant donnés les volumes en jeu : près de 12 millions d’élèves et 1,2 million d’enseignants utilisent quotidiennement nos services numériques. En développant nos propres espaces numériques de travail (ENT) ou une plateforme comme « Ma classe à la maison », nous construisons un écosystème numérique souverain pour recourir le moins possible aux services des « GAFAM ». Ce qui n’est pas forcément le cas de tous nos voisins européens.

C’est aussi ce qui explique que nos logiciels peuvent parfois avoir quelques lourdeurs, mais nous avons travaillé dès le début du confinement pour les stabiliser et régler au plus vite les problèmes. Aujourd’hui, nous avons des outils pleinement fonctionnels et prêts pour assurer la continuité de l’activité.

 

On retrouve à travers le numérique des problèmes systémiques liés à la protection des enseignants. Comment mieux les armer pour y faire face ? Vous aviez évoqué un temps une « charte du numérique », qu’en est-il ?

Au-delà de la dimension « outil » du numérique, il y a une question culturelle. Nous devons véritablement acculturer les personnels au numérique. Je pense par exemple à la place des réseaux sociaux aujourd’hui dans notre société : il ne s’agit pas de transformer tous les professeurs en « geeks », mais de leur donner des clés de compréhension pour savoir comment fonctionnent ces réseaux et ce qu’impliquent les interactions, en particulier s’ils s’y trouvent eux-mêmes attaqués. Cette culture du numérique est un enjeu de citoyenneté.

Concernant la charte d’utilisation du numérique dans le cadre scolaire, c’est un travail que nous n’avons lancé pour l’instant qu’au niveau de l’administration centrale. Nous réfléchissons encore à son contenu ainsi qu’à son déploiement.

 

Ne faudrait-il pas aller plus loin pour protéger les enseignants ? Y a-t-il encore des blocages ?

Nous travaillons notamment à mettre en place au niveau de chaque établissement des veilles sur les réseaux sociaux, pour repérer les signaux faibles et protéger au mieux les enseignants. Nous avons malheureusement connu ces derniers mois des événements qui prouvent qu’il ne faut pas sous-estimer cela.

Plus largement, des choses se mettent en place au niveau européen, par exemple avec le Digital Services Act qui va contraindre les grandes plateformes à se mettre en conformité sur la question des discours haineux. Plus près de nous, le projet de loi confortant les principes républicains participe aussi à cet effort de protection des enseignants, y compris dans la sphère numérique. Le corpus législatif avance : à nous de l’accompagner et de proposer les outils qui vont avec.