Les relations parents-enseignants sont-elles plus conflictuelles aujourd’hui ?
Publié le 30/10/2025
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Depuis les années 1980, la conviction que parents et enseignants accompagnent ensemble les élèves vers la réussite s’est progressivement imposée. Devenus co-éducateurs, les parents se sont vu attribuer un rôle et une place dans la scolarité de leur enfant et la qualité du lien entre l’École et les familles s’est révélée déterminante. Pourtant, depuis la crise sanitaire, cette relation semble traversée par un paradoxe : des attentes toujours plus fortes et une confiance mutuelle fragilisée. Pourquoi cette dégradation ? Et quelles pistes explorer pour refonder un dialogue constructif ?
Un état des lieux préoccupant
“ Les chiffres mettent en évidence une progression continue des conflits depuis la crise sanitaire. ”
Selon la DEPP (Note d’information n°25-47, 2023-20241), une grande majorité des enseignants du secondaire (73 %) se sentent encore respectés par les parents, mais près d’un tiers déclarent avoir subi des contestations directes. Seuls 63 % estiment que les règles de vie sont respectées dans leur établissement, un chiffre en nette baisse depuis 2019. Ces résultats traduisent une relation contrastée entre familles et personnels. Une tendance que confirment les études consacrées au climat scolaire menées par Éric Debarbieux et Benjamin Moignard2 3, initiées par L’ASL. Dans le premier degré2, les enseignants décrivent un climat scolaire en demi-teinte, fortement conditionné par la qualité des relations avec les familles ; dans le second degré3, ils évoquent davantage de difficultés liées au respect des règles et aux violences entre élèves, mais aussi une hausse des tensions avec les familles. Ces constats rejoignent ceux de L’ASL dans les dossiers qu’elle traite.
Des personnels d’éducation en première ligne
Les données de la DEPP4 révèlent que les personnels d’éducation sont directement concernés par une part importante des incidents graves. Dans le premier degré, ils représentent 54 % des victimes signalées ; dans le second degré, 38 %. Ces chiffres traduisent une exposition forte et régulière des enseignants et personnels à des agressions, le plus souvent verbales. Celles-ci constituent d’ailleurs à elles seules la moitié des atteintes recensées dans les écoles primaires comme dans les collèges et lycées. Elles pèsent lourdement sur le climat scolaire et alimentent le sentiment d’insécurité professionnelle. Le baromètre 2024-2025 de L’ASL5 confirme cette tendance : les agressions verbales et physiques représentent près d’un dossier sur cinq soit une progression de +9 % en cinq ans.
Le point de vue de L'ASL
Les chiffres de nos baromètres au fil des années montrent une augmentation constante des tensions. On constate une judiciarisation de plus en plus présente, avec des saisines en forte hausse. Les situations de conflit sont devenues structurelles et traduisent un vrai malaise dans la relation familles-École.
Plus de conflits et un recours croissant à la médiation
Les chiffres mettent en évidence une progression continue des conflits depuis la crise sanitaire. Selon le rapport 2024 de la Médiatrice de l’Éducation nationale6, les signalements ont augmenté de + 50% en cinq ans, avec une hausse marquée dans le premier degré : +31 % en un an et +105 % en cinq ans.
La proportion des conflits impliquant les familles est également notable puisque près d’un quart des saisines concernent des désaccords entre parents d’élèves et établissements. Les conflits liés à la vie quotidienne ont ainsi bondi de +137 % en cinq ans.
Les chiffres du baromètre 2024-2025 de L’ASL5, confirment ce constat : le nombre de dossiers ouverts est en augmentation de +23 % en cinq ans. Plus largement, les conflits (qui représentent 20,8 % des dossiers traités), sont en progression par rapport à 2020 (+24 %).
Ce phénomène semble ainsi perdurer et ne saurait relever seulement de crises ponctuelles.
Une protection jugée insuffisante
Dans ce contexte, la question de la protection fonctionnelle demeure préoccupante. Selon le baromètre de L’ASL, en 2024-2025, 864 demandes ont été déposées dans les académies, mais seulement 198 ont été accordées soit un taux d’octroi moyen de 23 %, encore en recul par rapport aux années précédentes, qui contraste avec l’augmentation massive des demandes (+83 % en un an).
Pour L’ASL, ce paradoxe laisse les personnels démunis dans des situations souvent complexes, alors même qu’ils expriment un besoin de reconnaissance et d’accompagnement par l’institution.
Le point de vue de L’ASL
Les personnels ne se sentent pas protégés. La protection fonctionnelle est trop rarement accordée, et quand elle l’est, cela ne garantit pas un réel soutien de l’institution. Souvent, la victime est déplacée ou isolée, comme si c’était elle le problème alors qu’on devrait s’attaquer à la source de l’agression. Il est indispensable que le dispositif soit renforcé.
Ces tendances de fond rappellent combien il est urgent de consolider la coéducation et de donner aux personnels des outils adaptés de prévention et de gestion des risques relationnels. C’est l’une des priorités que L’ASL porte depuis plusieurs années à travers ses formations et ses dispositifs d’accompagnement.
Une dégradation multifactorielle
“ La dégradation des relations familles–École apparaît comme un phénomène multifactoriel complexe. Mais cette complexité impose de dépasser la seule logique de constat pour identifier des pistes d’action concrètes, capables de retisser la confiance et de redonner sens à l’alliance éducative. ”
Des familles surimpliquées
Depuis la crise sanitaire, où les frontières familles-école ont été diluées, les familles n’hésitent plus à remettre en cause les choix pédagogiques et les décisions des enseignants.
C’est dans le premier degré, que les tensions avec les familles apparaissent particulièrement marquées, portant notamment sur la « vie quotidienne » (74 % des saisines auprès de la Médiatrice de l’Éducation nationale6).
Dans les collèges et lycées, si les conflits impliquent d’abord les élèves, les désaccords avec les familles trouvent leur origine dans les évaluations, les décisions d’orientation ou les mesures disciplinaires comme le mettaient déjà en évidence les enquêtes d’Éric Debarbieux et Benjamin Moignard2 3. Ces conflits sont perçus par les personnels comme des mises en cause directes de leur professionnalité.
Le numérique, un effet amplificateur
Les outils numériques (ENT, messageries, réseaux sociaux) occupent une place prépondérante dans la relation familles-École. Mais loin de simplifier le dialogue, ils l’intensifient parfois jusqu’à la saturation. Le rapport IGÉSR7 de juin 2025 souligne une hyper-sollicitation des personnels en dehors du temps scolaire : les messages envoyés le soir ou le week-end brouillent les frontières entre sphère professionnelle et vie privée, et alimentent des tensions lorsqu’ils portent sur des notes ou des sanctions.
Le baromètre 2024-2025 de L’ASL5 relève également une augmentation notable des dossiers liés aux usages numériques, notamment pour diffamation ou mise en cause publique de personnels sur les réseaux sociaux. Depuis 2020, ces affaires sont en progression constante (+176,5 % de cas de diffamation/dénonciation calomnieuse.)
Ces constats renforcent l’idée qu’un encadrement du numérique est devenu indispensable.
Le point de vue de L’ASL
Les outils numériques amplifient les tensions. Derrière un écran, les utilisateurs se lâchent plus facilement, ce qui génère malentendus et sur-sollicitations hors temps scolaire.
Fractures sociales et déficit de reconnaissance
Les tensions entre familles et personnels ne s’expliquent pas uniquement par des incidents ponctuels : elles s’enracinent aussi dans des fractures sociales et un manque de reconnaissance mutuelle. Un rapport de l’IGÉSR8 parlait déjà en 2021 d’un « déficit de parité d’estime », c’est-à-dire une difficulté persistante à considérer également la légitimité de l’école et celle des familles.
Les réalités diffèrent selon les contextes : dans certains territoires, les familles les plus éloignées de l’institution, pour des raisons linguistiques ou sociales, sont plus difficiles à impliquer tandis que dans d’autres, ce sont les milieux favorisés qui contestent le plus ouvertement les décisions pédagogiques ou administratives.
Finalement, la dégradation des relations familles–École apparaît comme un phénomène multifactoriel complexe. Mais cette complexité impose de dépasser la seule logique de constat pour identifier des pistes d’action concrètes, capables de retisser la confiance et de redonner sens à l’alliance éducative.
Des pistes d’amélioration connues mais insuffisamment déployées
“ Les nouvelles recommandations de l’IGÉSR complètent et renforcent les préconisations antérieures, notamment autour la coéducation structurée et la nécessité de pratiques collaboratives institutionnalisées. ”
Dans les établissements : retisser la confiance au quotidien
Les recommandations de l’IGÉSR de ces dernières années convergent : il faut restaurer la « parité d’estime » entre familles et personnels, condition fondamentale pour un dialogue fructueux. Son rapport « Enseigner et apprendre en confiance et en sécurité : un enjeu essentiel pour la nation »9 replace la relation école–familles dans une stratégie plus vaste. Ses nouvelles recommandations complètent et renforcent les préconisations antérieures, notamment autour la coéducation structurée et la nécessité de pratiques collaboratives institutionnalisées.
L’élaboration de chartes relationnelles claires, fixant les règles de communication et de respect mutuel ;
La mise en place de dispositifs pédagogiques collaboratifs (groupes de parole, jeux de rôle, pratiques collaboratives entre professeurs, comme leviers pour renforcer les liens au sein de la communauté éducative.)
La généralisation de protocoles de médiation interne, permettant de régler les différends avant qu’ils ne prennent une tournure juridique13.
Ces pistes rejoignent les pratiques déjà encouragées par L’ASL dans ses formations où les « Relations parents-personnels d’éducation » sont abordées de façon transversale.
Le point de vue de L’ASL
Pour L’ASL, la prévention joue un rôle-clé dans la relation École-familles. Il faut prévenir les risques et désamorcer les conflits en amont. Si l’on attend qu’ils dégénèrent pour les traiter par la voie judiciaire, tout le monde y perd : personnels, familles et élèves.
Encadrer le numérique et prévenir ses risques
Pour redonner au numérique son rôle d’outil de facilitation du dialogue familles-école, le récent rapport IGÉSR7 de juin 2025 et les annonces gouvernementales d’août 2025 vont dans le sens d’un droit à la déconnexion : les accès parents-élèves ne seront plus disponibles le soir et le week-end. Cette mesure reprend une recommandation formulée dès 2021 dans son Livre Blanc par L’ASL qui plaidait déjà pour une régulation stricte des usages afin de protéger le temps personnel des enseignants.
En parallèle, L’ASL encourage les personnels d’éducation à se prémunir contre les risques liés à l’usage du numérique et particulièrement des réseaux sociaux. L’association développe ainsi des actions de sensibilisation sur cette thématique et dispense des formations sur le sujet.
Mieux protéger et soutenir les personnels
Au-delà des établissements, c’est tout l’environnement institutionnel qui doit évoluer pour mieux protéger les personnels, notamment à travers la protection fonctionnelle. Le rapport 2024 de la Médiatrice6 insiste sur la nécessité de rendre ce soutien plus systématique et plus concret : il ne s’agit pas seulement d’accorder une protection juridique automatique, mais aussi d’élargir son périmètre (écoute, aide juridique, accompagnement psychologique, médical et administratif).
L’ASL alerte depuis plusieurs années sur cette urgence. Pour l’association, il est essentiel que les personnels cessent d’être isolés et que la responsabilité de l’institution soit pleinement assumée. Cela implique une réponse politique claire : reconnaître publiquement la gravité des faits et envoyer un signal fort de soutien aux équipes éducatives, notamment en systématisant l’octroi immédiat de la protection fonctionnelle dès lors que les personnels se sentent menacés, et ce, dans toutes les académies, quels que soient leur statut et leur mission.
Le point de vue de L’ASL
Notre préconisation est d’harmoniser la manière dont on saisit les services, et surtout que la protection fonctionnelle soit attribuée automatiquement lorsqu’un personnel d’éducation est agressé ou menacé dans l’exercice de ses fonctions. L’administration, par son soutien, reconnait ainsi le caractère inacceptable des agressions dont sont victimes ses agents.
En parallèle, mieux protéger les personnels, c’est aussi les accompagner dans la prévention et la gestion des risques. L’IGÉSR8 insiste sur l’urgence de renforcer la cohésion des équipes éducatives, notamment via la formation, pour prévenir violences et stress, et promouvoir un climat scolaire positif. À cet égard la formation initiale et continue des personnels joue un rôle fondamental et nécessite un renforcement aux compétences relationnelles et à la gestion des conflits.
Impliquer les parents
Enfin, la pacification des relations entre familles et École ne peut reposer uniquement sur les enseignants ou l’institution : elle suppose aussi une implication active des parents. Plusieurs initiatives menées localement montrent qu’il est possible de bâtir des espaces de coéducation constructifs.
Impliquer les familles peut passer par la formation de parents relais /ambassadeurs-parents, capables de servir de médiateurs et de faciliter la communication entre l’institution scolaire et les autres familles. Des ressources multilingues peuvent également être diffusées afin de mieux inclure les parents éloignés de la culture scolaire en raison d’une barrière de la langue10.
Certaines académies expérimentent aussi des formats plus collaboratifs : ateliers thématiques, cafés des parents, rencontres coanimées avec des associations. Ces espaces participent à installer une culture du dialogue et à prévenir les malentendus11.
L’ASL encourage ces démarches.
Le constat est clair : la relation entre parents et personnels d’éducation traverse une crise structurelle, nourrie par la contestation des choix pédagogiques, les violences envers les agents, l’hyperconnexion numérique et les fractures sociales. Cette situation place les personnels d’éducation en première ligne et questionne la capacité de l’institution à les protéger.
Pourtant, des pistes d’amélioration existent : espaces de coéducation, encadrement du numérique, formation aux compétences relationnelles, protection fonctionnelle renforcée. Mais ces mesures ne peuvent porter leurs fruits que si elles s’inscrivent dans une démarche globale, cohérente et soutenue politiquement.
L’urgence est donc double : protéger et accompagner les personnels confrontés à la violence, et refonder le dialogue avec les familles sur des bases claires et respectueuses. L’école publique vit une crise de confiance qui interroge notre capacité collective à faire société autour d’un projet éducatif commun.
L’ASL poursuivra son engagement pour alerter, proposer des leviers et soutenir les agents, convaincue que c’est aussi dans la qualité du lien entre familles et équipes éducatives que se joue l’avenir de l’école républicaine.