Face aux questionnements liés aux transidentités dans les établissements scolaires, L’Autonome de Solidarité Laïque (L’ASL) propose une formation à destination des personnels d’éducation. Cette formation vise à fournir des repères clairs, à la fois humains et juridiques. Dans cet entretien croisé, Jacques Guillaumat, militant de terrain, et Me Stephen Duval, avocat-conseil, partagent leur analyse et leurs conseils pour accompagner et protéger au mieux les professionnels confrontés à ces questionnements.

L’ASL a développé une formation pour les personnels d’éducation sur le sujet des transidentités. Quelle est aujourd’hui la réalité des situations liées à ce sujet dans les établissements scolaires ?

Quels retours de terrain vous remontent des enseignants ou des chefs d’établissement dans votre délégation ?

“ Les difficultés sont essentiellement relevées dans les cours d’EPS. ”

Jacques Guillaumat : La situation est encore très variable selon les établissements. Les cas recensés sont moins nombreux que ce que les médias laissent parfois entendre. Une enquête nationale plus complète serait nécessaire pour comprendre réellement l’ampleur et la diversité des situations rencontrées par les différents acteurs de la communauté éducative : enseignants, CPE, personnel médico-social ou chefs d’établissement.
Certaines académies, comme celles de Limoges ou de Poitiers, nous ont sollicités. Avec Me Stephen Duval, nous préparons actuellement une formation pour 80 personnels de l’académie de Poitiers, comprenant des professeurs d’EPS, des CPE, des infirmiers et des personnels de direction.
Les cas se concentrent surtout dans les lycées, et semblent plus prégnants dans les zones favorisées, où les familles sont plus informées et soucieuses de soutenir les choix de leurs enfants. Les difficultés sont essentiellement relevées dans les cours d’EPS.
Les demandes les plus fréquentes portent sur l’usage du prénom choisi par l’élève dans les outils informatiques comme Pronote, ainsi que sur l’usage des pronoms correspondants. Certaines familles souhaitent que les enseignants ou les camarades de la classe soient informés, d’autres demandent au contraire la plus grande discrétion. Elles revendiquent une interprétation et une application personnelle des textes existants.

Que demandent les personnels ?

Jacques Guillaumat : Ils attendent des informations claires, des règles à suivre et des repères institutionnels, en particulier en EPS ou à l’internat, où ces situations peuvent soulever des enjeux particuliers. Ils réclament aussi un soutien sans faille de leur direction ou de leur inspection face à des situations parfois sensibles ou conflictuelles.

 

Ces situations s’inscrivent-elles dans un cadre juridique encore flou ou les textes actuels sont-ils suffisants pour protéger tous les acteurs ?

“ Les textes actuels sont globalement suffisants pour permettre aux personnels de traiter efficacement ces situations. ”

Stephen Duval : Les textes actuels sont globalement suffisants pour permettre aux personnels de traiter efficacement ces situations. On peut citer, dans ce corpus de textes, la circulaire Blanquer du 29 septembre 2021, qui préconise la diffusion de bonnes pratiques, et la circulaire du 20 juin 2023 relative à la prise en compte de la diversité des familles et au respect de l’identité des personnes transgenres dans la fonction publique de l’État. Cette dernière ne s’adresse qu’à l’administration en interne et non aux élèves.

S’agissant des personnels de l’Éducation nationale, le cadre juridique repose sur des principes solides et éprouvés : égalité de traitement, non-discrimination, neutralité du service public et devoir de réserve. S’agissant des élèves, il existe désormais des ouvertures dans la législation relative à l’état civil, notamment concernant le changement de prénom facilité, y compris pour les mineurs, par une procédure administrative simple qui offre des solutions rapides et réversibles, immédiatement satisfaisantes pour les familles.

Quelles sont les règles essentielles à connaître lorsqu’un établissement accueille un élève transgenre ?

Comment la communauté éducative peut-elle réagir de façon bienveillante, mais professionnelle ?

“ La réponse doit être collective : direction, enseignants, personnel médico-social et vie scolaire doivent travailler ensemble. ”

Jacques Guillaumat : Comme pour toute situation de mal-être, il est indispensable de maintenir une relation de confiance avec l’élève et sa famille. La réponse doit être collective : direction, enseignants, personnel médico-social et vie scolaire doivent travailler ensemble. Il revient à la famille d’informer l’établissement, et à la direction de fixer clairement jusqu’où les adaptations pédagogiques ou autres pourront être apportées au regard des enjeux, dans le respect des textes (examens, internat, suivi pédagogique…).

Il est important de souligner que l’école n’est pas un lieu thérapeutique. Certaines demandes, notamment sociales ou médicales, peuvent dépasser ce que peut offrir un établissement scolaire. Une fois le cadre établi, il est essentiel que la direction informe les équipes pédagogiques, qui doivent suivre les directives subséquentes, en respectant les éventuelles exigences de confidentialité.

 

Quels sont les points de vigilance sur le plan juridique : prénom d’usage, changement de pronoms, communication avec les familles ?

“ La législation prévoit que le changement de prénom passe par une procédure administrative (non judiciaire), simple et rapide. Une fois le changement inscrit à l’état civil, l’administration doit s’y conformer. ”

Stephen Duval : Comme je l’ai dit, la législation prévoit que le changement de prénom passe par une procédure administrative (non judiciaire), simple et rapide. Une fois le changement inscrit à l’état civil, l’administration doit s’y conformer. Toutefois, en l’absence de modification officielle, un établissement ne peut utiliser un prénom ou un pronom différent qu’avec l’accord explicite des représentants légaux, comme l’a rappelé le tribunal administratif de Paris.
S’agissant des personnels, leurs principes déontologiques permettent d’appréhender utilement ce type de situations.

En cas de tensions avec d’autres élèves, ou même avec des parents, quelles sont les responsabilités du personnel éducatif ?

Avez-vous des exemples où L’ASL est intervenue pour accompagner des personnels confrontés à ce type de conflit ?

“ L’ASL n’est pas intervenue directement, mais nous avons des retours de notre réseau de chefs d’établissement sur les difficultés qu’ils rencontrent. ”

Jacques Guillaumat : À ce jour, dans la délégation du Rhône, nous n’avons eu connaissance que de situations impliquant des personnels d’éducation, et non des élèves. L’ASL n’est pas intervenue directement, mais nous avons des retours de notre réseau de chefs d’établissement sur les difficultés qu’ils rencontrent. Il s’agit essentiellement de situations portant, par exemple, sur l’utilisation des lieux d’intimité, l’adaptation des barèmes en EPS au baccalauréat ou encore sur la meilleure façon d’accueillir un ou une élève transgenre en internat. L’ASL est à même d’accompagner les personnels sur tous ces sujets.

La protection des élèves trans est-elle prioritaire dans le droit de l’éducation ? Quels recours ont les personnels en cas de mise en cause ?

“ En cas de mise en cause, les personnels peuvent s’appuyer sur leur déontologie pour justifier leurs décisions et leurs actions. ”

Stephen Duval : La mission première de l’école est de garantir l’égalité et la sécurité de tous les élèves. Il ne s’agit pas de créer une hiérarchie des protections, mais d’assurer un traitement impartial. Accorder une priorité excessive à une catégorie d’élèves au détriment des autres pourrait constituer une rupture du principe d’égalité. L’école répond au principe général d’inclusion scolaire, « qui concerne tous les enfants sans aucune distinction ». Le sujet, finalement, c’est la lutte contre les discriminations, et plus spécifiquement les discriminations sexuelles dans lesquelles s’inscrit le questionnement transgenre. Cela s’inscrit dans une mission globale de lutte contre les discriminations.
En cas de mise en cause, les personnels peuvent s’appuyer sur leur déontologie pour justifier leurs décisions et leurs actions. Un enseignant mis en cause pour une discrimination ou un manquement déontologique serait pris en charge par les mêmes moyens que celui mis en cause pour une autre raison. Il pourrait demander la protection fonctionnelle, et, le cas échéant, l’accompagnement par un avocat.

Dans tous les cas, il est essentiel qu’un enseignant ne reste pas seul, car la gestion de cette thématique est pluridisciplinaire, elle mobilise toute l’équipe enseignante et administrative. Par exemple, dans le cas d’un élève qui demanderait un changement de prénom à son professeur principal, l’enseignant n’a pas à donner de réponse immédiate. Il demandera à l’élève que ses parents contactent la direction, et lui-même devra échanger avec les personnels de direction pour savoir comment répondre à la demande.

Les textes de la circulaire Blanquer s’adressent finalement plus aux personnels administratifs et aux personnels de direction qu’aux personnels d’éducation, qu’il s’agisse de gérer l’état civil ou les lieux d’intimité. Une fois encore, ce sont les normes générales de non-discrimination qui s’adressent aux personnels enseignants.

Et s’ils peuvent être confrontés aux conflits entre élèves, nous recommandons le dialogue et la recherche de consensus, notamment pour l’usage des lieux d’intimité. Si le conflit ne s’apaise pas, le règlement intérieur peut être une ressource utile. Ce dernier est opposable à toute la communauté scolaire, personnels, élèves et parents d’élèves. Actuellement, de ce que nous avons pu constater, il ne comporte pas de disposition spécifique aux élèves transgenres. Il n’est pas inutile de mener une réflexion relative à son évolution en spécifiant, par exemple, les sanctions des comportements discriminatoires incluant la question transgenre ; en nommant un référent ; en établissant la réglementation des usages des lieux d’intimité internes à l’établissement. Parce qu’il est opposable à la communauté scolaire, le règlement intérieur est aussi un outil de protection pour les personnels.

Est-ce que les personnels éducatifs sont aujourd’hui suffisamment formés et protégés pour faire face à ces enjeux ?

Voyez-vous un besoin accru de formation ? L’institution évolue-t-elle dans le bon sens sur ces questions sensibles ?

“ Il ne s’agit pas seulement d’un besoin de formation technique, mais surtout d’un besoin de clarification, de mise en confiance et de cohérence au sein des équipes. ”

Jacques Guillaumat : Il ne s’agit pas seulement d’un besoin de formation technique, mais surtout d’un besoin de clarification, de mise en confiance et de cohérence au sein des équipes. Il est nécessaire de rassurer les personnels de terrain en recontextualisant la problématique et en l’inscrivant dans une action commune et partagée dans l’établissement.

Stephen Duval : Malgré les polémiques extérieures à l’école, les faits démontrent que les personnels des établissements scolaires gèrent bien ces situations, comme le montre le très faible nombre de contentieux remontés.

En conclusion, quel message principal souhaitez-vous faire passer aux adhérents de L’ASL, et plus largement aux personnels d’éducation à l’issue de cette formation ?

En tant que militant…

“ La gestion de ces situations repose d’abord sur les chefs d’établissement, qui doivent fixer une ligne de conduite claire et partagée par tous. ”

Jacques Guillaumat : La gestion de ces situations repose d’abord sur les chefs d’établissement, qui doivent fixer une ligne de conduite claire et partagée par tous. Il est aussi essentiel que le règlement intérieur mentionne explicitement le respect dû à chaque individu. Cela crée un socle solide pour gérer ces situations avec sérénité.

En tant qu’avocat…

“ Les personnels doivent avoir confiance en leurs pratiques et compétences professionnelles. (...) Bien souvent, ils ont déjà les bons réflexes. ”

Stephen Duval : Les personnels doivent avoir confiance en leurs pratiques et compétences professionnelles. Ils sont déjà protégés par leur déontologie et leur expérience. Il n’y a pas lieu de se dévaloriser face à ces enjeux. Bien souvent, ils ont déjà les bons réflexes.

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