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Entretien avec une ergonome Sorties scolaires : comment mieux prévenir les risques ?Violences en milieu scolaire : une réalité complexe

Un sentiment de dégradation réel
La vidéo d’une enseignante menacée par un élève au moyen d’une arme (factice) dans un lycée de Créteil avait, en 2018, suscité beaucoup de réactions, bien au-delà du seul monde de l’éducation. S’en étaient suivis de nombreux témoignages de personnels qui, via le hashtag #PasDeVagues, partageaient leur propre expérience concernant non seulement les violences en milieu scolaire en elles-mêmes mais aussi le sentiment d’un manque de prises en compte de cette réalité par leur hiérarchie. Les réseaux sociaux étaient ainsi la caisse de résonance à la fois des faits de violence et du mal-être d’une partie des enseignants.
Le contexte n’a pas fondamentalement changé depuis, et nombreux sont les enseignants qui disent même ressentir une recrudescence de la violence dans leur établissement. Il faut toutefois mettre en regard ce sentiment, réel et légitime, et les statistiques concernant les violences en milieu scolaire : plutôt qu’une franche hausse des agressions à l’égard des enseignants, il s’y dessine surtout un paysage fait d’une multitude de violences continues et protéiformes.
Ainsi, le baromètre de L’ASL du climat dans les établissements scolaires indique depuis plusieurs années déjà une hausse continue des besoins de conseil (+23 % en trois ans), reflet d’un climat de plus en plus tendu au quotidien dans les établissements. Concernant les demandes de protection juridique des dernières années, bien que les agressions physiques soient rares, elles n’en restent pas moins traumatisantes, comme les situations où les personnels subissent insultes, menaces et propos diffamatoires (deux tiers des dossiers), phénomène qui a d’ailleurs perduré malgré la crise sanitaire comme le décrit le baromètre 2020.
Une violence sociétale qui se retrouve à l’école
Si le climat et les conditions d’exercice du métier d’enseignant se dégradent, cela est aussi lié plus largement à des facteurs sociétaux. La crise sanitaire a notamment joué un rôle d’amplificateur des inégalités sociales et d’un climat de plus en plus anxiogène.
Dans ce climat social détérioré, toujours plus propice aux difficultés pour les élèves et aux tensions avec les familles, les enseignants se retrouvent de plus en plus souvent face à des situations tendues. Ceux du 1er degré sont particulièrement exposés aux conflits (61 % des dossiers de L’ASL en 2019 et 59 % en 2020), face à des parents de plus en plus procéduriers, et avec le sentiment de n’être pas toujours soutenus par leur hiérarchie.
L’évolution de la violence en milieu scolaire
Déjà, en 2013, L’ASL publiait la plus vaste enquête sur le climat scolaire auprès des personnels jamais réalisée en France (Debarbieux, Hamchaoui et Moignard, OUIEP, 2013).
Elle montrait que le climat scolaire, vu par les personnels du second degré, était majoritairement positif puisque près de 8 répondants sur 10 en avaient une perception positive. Cependant, cette enquête démontrait également que la perception différait suivant la situation des répondants. Cela ne dépend ni de leur genre ni même directement de leur âge, mais beaucoup plus des données sociales de leur lieu d’exercice.
Par exemple, 39,2 % des personnels de lycée professionnel (LP) contre 23,8 % des personnels de lycée d’enseignement général et technologique (LEGT) et 28,5 % des personnels de collège avaient une vision plutôt négative de ce climat scolaire. Le lien entre climat scolaire et exclusion sociale était donc remarquable.
Par ailleurs, les violences en milieu scolaire ne semblent pas vraiment augmenter en termes de nombre d’actes de violence, mais ces actes sont plus graves qu’auparavant.
En outre, ces violences sont de plus en plus mises en corrélation avec d’autres phénomènes sociaux bien plus problématiques : ghettoïsation de certains établissements concentrant les difficultés, les problèmes de racisme, la surmédiatisation, etc. Mais les statistiques disponibles reposent aussi sur des affirmations souvent à caractère subjectif : elles sont la plupart du temps dépendantes à la fois des stratégies de chacun (chef d’établissement, recteur, professeur, etc.), et parfois des injonctions de l’administration centrale. Mais on constate que, généralement, la violence dans son caractère le plus grave reste un phénomène marginal en milieu scolaire.
Qu’en est-il aujourd’hui après deux ans de crise sanitaire ? Les tensions se sont-elles amplifiées ou simplement déplacées ? Pour y répondre, L’ASL, acteur majeur de l’observation du climat scolaire lancera prochainement une nouvelle étude permettant de voir l’évolution du phénomène et de son ressenti par les personnels d’éducation.
Depuis 2019, un plan de lutte qui renforce les dispositifs existants
Des on côté, le ministère de l’Éducation nationale a présenté à la rentrée 2019 un nouveau plan de lutte contre les violences scolaires. Il a d’abord écarté l’idée controversée d’une présence policière systématique au sein des établissements. Souvent mal vécues par les enseignants eux-mêmes, les expérimentations en la matière pouvaient donner l’impression d’une double violence à l’égard des élèves : celle d’une école qui ne leur donne pas les moyens de réussir, et celle d’une institution policière extérieure au lycée.
De façon plus consensuelle, le plan prévoyait, dans ses principales mesures, d’accroître la collaboration Justice, Éducation nationale et ministère de l’Intérieur, d’instaurer des référents « violence » dans chaque département, de mieux accompagner les professeurs victimes de violences, ainsi que de donner la possibilité d’inscrire des élèves « grands perturbateurs » et « poly-exclus » dans des « classes relais » sans l’accord de leur famille.
En outre, la circulaire publiée en 2019 venait rappeler que les personnels d’éducation bénéficient d’un statut juridique particulier de « personne chargée d’une mission de service public », aggravant le cas échéant la qualification pénale des faits de violence commis à leur encontre. Le texte précise en effet que toute incivilité, atteinte ou autre fait grave commis à l’encontre d’un personnel de l’Éducation nationale doit systématiquement faire l’objet d’une réponse de la part de l’institution.
À cet effet, le ministère a d’ailleurs rédigé une série de guides d’accompagnement destinée à mieux informer les personnels des moyens mis à leur disposition en cas d’agression ou de mise en cause abusive à leur encontre et à les accompagner dans leurs démarches.
En conclusion, il est nécessaire de mettre en place des solutions pour que l’établissement demeure autant que possible un lieu protégé des intrusions venues de l’extérieur, et pour que les nouvelles équipes mobiles de sécurité, en liaison avec le chef d’établissement, viennent en renfort des équipes éducatives. Ces équipes mobiles de sécurité doivent assurer la protection et la sécurité des personnes et des biens dans les établissements ou à leur abord immédiat par des contrôles, des dissuasions, une prise en charge temporaire des entrées et sorties des élèves, et, en conséquence, avec pour mission d’assurer la sécurisation de proximité à l’entrée de l’établissement.
Face à des manques structurels, un réseau associatif mobilisé
S’il est trop tôt pour tirer un bilan des nouveaux dispositifs proposés, surtout après deux années scolaires très atypiques, nous pouvons néanmoins déjà identifier quelques-unes des problématiques auxquelles le plan ne répond pas. Il en est ainsi des problèmes structurels, comme le manque de « classes relais » au regard des besoins. Pour Benjamin Moignard, sociologue à l’université de Cergy-Paris (CY) et spécialiste des violences en milieu scolaire, mettre en avant ces problématiques relève « plutôt de l’affichage », dans un contexte où « il y a eu quatorze plans violence depuis le milieu des années 90 ».
De la même manière, la question pourtant fondamentale de la stabilisation des effectifs dans les établissements les plus difficiles, où le « turnover » est souvent plus important qu’ailleurs, n’est pas traitée.
Dans ce contexte où les réponses restent insuffisantes, le réseau associatif est naturellement mobilisé pour venir en aide aux personnels d’éducation. Qu’ils soient victimes de violences ou simplement en recherche d’information, le rôle d’un acteur comme L’ASL est à la fois d’agir en prévention et d’être à l’écoute des personnels. Pour les cas les plus graves, L’Autonome de Solidarité Laïque est là pour les accompagner et les aiguiller vers l’avocat-conseil de la délégation : c’est lui qui pourra les épauler en cas de procédure judiciaire.
Plus largement, il est nécessaire aussi de répondre aux difficultés de l’acte d’enseigner dans ce contexte difficile où l’agression verbale l’emporte trop souvent sur la parole raisonnée. Il est nécessaire de placer devant des élèves en mal de reconnaissance des enseignants préparés à l’atténuation du conflit, à la gestion de la situation de crise, des enseignants mieux formés, au-delà de la discipline qu’ils enseigneront, aux situations humaines, aux dysfonctionnements sociaux qu’ils rencontreront dans leur métier. Les militants de L’ASL le savent bien, et c’est pourquoi, en s’appuyant sur la convention de partenariat signée avec le ministère de l’Éducation nationale, ils donnent accès à l’information et à la formation des personnels sur ces sujets.