Bonjour Bruno Robbes. Comment définiriez-vous les violences en milieu scolaire ?

Pour moi, les violences en milieu scolaire sont des faits qualifiés de « violences » par le Code pénal. Ils se déroulent au sein de l’école ou à ses abords et empêchent les missions d’enseignement et d’apprentissage de s’exercer. Ces faits proviennent d’acteurs de l’école, mais aussi de l’extérieur. On peut aussi ajouter les violences institutionnelles, lorsque l’institution scolaire est à l’origine de certains actes exercés sur les élèves, les parents ou les personnels. Du côté des personnels, cela peut se manifester par un sentiment de pression hiérarchique de la part des cadres intermédiaires. 

Une autre façon de définir les violences consiste à se baser sur ce que les acteurs qualifient de « violent », à travers les enquêtes de victimation. Cela élargit la définition par rapport aux catégories du Code pénal. Mais je considère ce dernier comme une forme de juge de paix, parce qu’il permet justement de déterminer ce qui fait partie des violences, et ce qui n’en fait pas.

 

Quelle forme ont pris ces violences à travers l’histoire ? Comment leur conception a-t-elle évolué au fil des époques ?

Le rapport de nos sociétés à la violence à l’école évolue continuellement, parce qu’il dépend des normes socialement acceptables. Voici un exemple classique. Il y a 40 ou 50 ans, quand un enseignant donnait une gifle à un élève, il ne risquait pas le dépôt de plainte. Ça a changé aujourd’hui. On ne peut que s’en réjouir ! Ce qu’une société considère comme violent évolue. 

Des chercheurs observent, depuis les années 1990, une transformation, une forme d’inversion du rapport école-violence. On est passé d’une époque où l’institution scolaire pouvait être physiquement violente à l’égard des élèves, à une époque où la société considère certains élèves, notamment issus des milieux populaires, comme des délinquants juvéniles, s’attaquant à l’école. Le problème de la violence à l’école devient donc un problème de sécurité qui vise certaines catégories de population, des familles socio-économiquement défavorisées, monoparentales et considérées comme ayant des comportements antisociaux, dont les parents et les élèves, « agresseraient » l’école. 

 

Vous avez parlé des milieux défavorisés. Le rapport à l’école est donc différent pour les autres catégories sociales ?

Les catégories moins favorisées, défavorisées ou populaires, reprochent à l’école de ne pas suffisamment répondre à leurs espoirs de promotion sociale. Elles ont le sentiment que l’école exerce une violence symbolique à leur égard. Les élèves aussi le ressentent. 

Les classes moyennes ou les milieux plus favorisés socialement n’ont pas la même vision de l’école. Elle est d’abord un espace où les enfants doivent réussir, avec une forme de compétition, parfois exacerbée. L’école doit aussi répondre à d’autres types de demandes. Les parents sont davantage dans un rapport, on va dire, de consommation : l’école doit leur rendre un service. Ils réagissent donc plus en consommateurs. Ils vont convoquer leurs propres normes, qui ne sont pas toujours en accord avec celles de l’école. 

Ce qui est compliqué pour l’école d’aujourd’hui, c’est de se trouver prise en étau entre diverses récriminations qui émanent de différents milieux sociaux. Et cela favorise les tensions entre professionnels, enseignants et parents. 

 

Alors, quelles réponses ont pu être apportées au fil du temps, que ce soit au sein de l’établissement ou dans la loi ?

De manière générale, on connaît mieux et on comprend mieux les phénomènes de violence dans les établissements scolaires, grâce à des enquêtes ministérielles et aux travaux des chercheurs. 

Les lois aussi ont évolué. Je pense notamment à la circulaire de juillet 2000 sur les procédures disciplinaires dans les établissements scolaires du second degré. On assiste, depuis cette époque, à une forme de juridicisation de l’institution scolaire : le système scolaire se calque sur les principes de la justice et du droit. 

Par ailleurs, un certain nombre de guides ressources destinés aux personnels, parfois très bien faits et utiles, ont vu le jour. On pourrait encore citer le développement d’interventions, de formations de tous types de personnels, etc. sur différents sujets : la prévention des violences, les sanctions possibles, le climat scolaire, l’exclusion, le harcèlement, l’autorité, etc. Toujours dans le champ de la formation, des pratiques d’analyse de situations professionnelles en groupe d’enseignants, de chefs d’établissement, de surveillants et de conseillers principaux d’éducation, se sont développées. 

Et pour finir, j’évoquerais l’accompagnement des équipes éducatives par des chercheurs ou des personnels des rectorats. Parce qu’ils travaillent au plus près des établissements, ils peuvent apporter des réponses sur mesure aux difficultés rencontrées sur le terrain. 

 

Dans l’actualité médiatique, on voit de plus en plus souvent des cas de violences à l’école. Cela veut-il dire que le phénomène augmente envers les personnels d’éducation ?

Les statistiques du ministère de l’Éducation nationale, avec l’enquête Sivis, ont un inconvénient : elles mettent en évidence les violences dont les personnels sont victimes plutôt que les élèves. Donc, elles grossissent un petit peu le phénomène. La dernière enquête disponible montre que, dans les écoles primaires publiques, les enseignants sont impliqués comme victimes dans la moitié des incidents signalés par les inspecteurs de l’Éducation nationale. 

Dans le second degré, dans les établissements publics et privés sous contrat, on constate que les enseignants sont victimes dans un quart des incidents graves signalés par les chefs d’établissement. Cette violence envers les enseignants est principalement verbale. Elle émane, à parts égales, des familles d’élèves et des élèves. Voilà ce que nous disent les dernières enquêtes officielles. Pour autant, la structure générale des violences à l’école, en particulier à l’égard des personnels, dont les enseignants, est assez connue et reste assez stable. 

 

Les enseignants ont le sentiment que leur parole est de plus en plus souvent remise en cause. N’est-ce qu’une impression ?

Effectivement, en ce qui concerne les savoirs enseignés ou les actes de discipline, la parole des enseignants est de plus en plus discutée. Les contenus scolaires sont contestés, tout comme les sanctions, non seulement par des élèves, mais aussi par des parents. On observe, dans le dernier rapport de la médiatrice de l’Éducation nationale, que, notamment après la crise sanitaire, le nombre de saisines des médiateurs a augmenté. Il a été multiplié par 5 en 5 ans.

 

Quels défis ces constats posent-ils plus largement à notre école et à nos institutions ?

Si on s’appuie sur des grandes enquêtes internationales, on peut dire qu’il y a trois points essentiels sur lesquels il faut insister et qui sont des leviers. 

Tout d’abord, la qualité de la formation des enseignants. Selon mon point de vue et celui de beaucoup de chercheurs, elle n’a cessé de se dégrader depuis peut-être une vingtaine d’années. 

Deuxièmement, on constate aussi une dégradation de la considération de l’institution à l’égard des enseignants et autres personnels. 

Troisième point, les enquêtes sur les réponses à apporter à la violence dans les établissements insistent sur 2 éléments :  les pédagogies coopératives et le travail en équipe. 

Il faut aussi regarder le rapport entre la société et l’école. Un certain nombre de responsables politiques, de dirigeants de l’Éducation nationale sont en difficulté. Ils ont du mal à considérer les enseignants, ce qui pose un problème, par exemple au niveau du recrutement. Ils doivent cesser, à travers leurs paroles, de mépriser les compétences des professeurs en les considérant comme des simples exécutants. Enseigner, c’est un métier, et il faut associer les enseignants à ses transformations. S’appuyer sur leurs compétences pour répondre à de nouveaux défis est essentiel. Un certain nombre de responsables politiques ou de cadres intermédiaires de l’Éducation nationale ne se sentent pas à l’aise avec ce fonctionnement pyramidal, autoritaire et assez traditionnel.