Catherine Hurtig-Delattre, auteure de  La coéducation à l’école, c’est possible !*, a passé quarante ans en école maternelle et élémentaire, dont six comme directrice. Elle a aussi été maître formatrice, coordinatrice de réseau d’éducation prioritaire et chargée d’études à l’Institut français de l’Éducation (à Lyon). Spécialisée sur la question de la coéducation parents-enseignants, elle en présente ici les principaux enjeux.

Pourquoi vous êtes-vous intéressée à cette notion de coéducation à l'école ?

“ J’ai travaillé sur cette question, car j’ai très vite ressenti un malaise entre mon expérience de parent d’élève et celle d’enseignante. ”

J’ai travaillé sur cette question, car j’ai très vite ressenti un malaise entre mon expérience de parent d’élève et celle d’enseignante. J’étais souvent en conflit avec les enseignants de mes enfants et j’ai retrouvé ce sentiment au début de ma carrière. Je me suis alors intéressée aux malentendus liés à cette relation parents-enseignants afin de comprendre pourquoi j’étais, personnellement, en difficulté d’un rôle à l’autre. J’avais l’intime conviction que cette incompréhension mutuelle venait du système plus que des individus. C’est ainsi que j’ai découvert la coéducation et décidé de travailler sur ce sujet, avec le projet de mettre en place de véritables dispositifs de coéducation. C’est ce parcours que je raconte dans mon ouvrage.

Après ces expériences, pensez-vous que sa mise en place à l’école soit possible ?

“ La coéducation est un système relationnel complexe qui nécessite de la part des professionnels des règles claires et des dispositifs adaptés. ”

Oui, c’est possible, mais la coéducation est un système relationnel complexe qui nécessite de la part des professionnels des règles claires et des dispositifs adaptés. Elle part du constat que l’enfant, depuis la petite enfance jusqu’à l’entrée à l’âge adulte, est accompagné par plusieurs adultes qui l’éduquent et l’instruisent. L’idée principale de la coéducation, c’est cette forme de mutualisation entre les différentes personnes qui sont en lien avec l’enfant. Cette mutualisation n’a pas toujours été voulue, ni considérée comme « positive ». Ce n’est plus le cas aujourd’hui, car notre société considère qu’elle va aider l’enfant à être mieux accompagné. Elle est même, depuis la loi sur la refondation de l’école de 2013, inscrite dans les textes. Il s’agit donc d’une responsabilité éducative partagée où les parents conservent leur liberté éducative et les enseignants leur liberté pédagogique. L’enjeu est d’organiser cette « intersection » pour que chacun y trouve sa place et que l’enfant en bénéficie pleinement.

Comment les enseignants peuvent-ils procéder pour sa mise en place ? Quels sont les prérequis ?

“ Les prérequis (…) sont de deux ordres : des dispositifs concrets et des postures. ”

Les prérequis sont de deux ordres : des dispositifs concrets et des postures. Les dispositifs s’organisent autour de quatre étapes successives : accueillir, informer, dialoguer et impliquer. Chaque étape doit être pensée comme un véritable dispositif professionnel : accueillir humainement, s’assurer que l’information est comprise, créer un échange plutôt qu’une simple transmission. En effet, on ne peut impliquer les parents que si, dans un premier temps, on les a accueillis dans l’école. De la même façon, on ne peut dialoguer avec les parents que si on les a préalablement informés.

Les postures reposent sur trois principes : l’explicitation, car souvent les enseignants et l’institution pensent que le fonctionnement est toujours évident pour les parents, ce qui est loin d’être le cas ; la coopération, qui va au-delà des consignes ; et surtout la parité d’estime, fondée sur le respect mutuel et le non-jugement. Les enseignants ne sont pas là pour dire aux parents leur manière d’éduquer, comme ils ne souhaitent pas que leur soit dictée leur méthode pédagogique. Cette parité est très complexe à construire, mais elle est l’élément moteur permettant de créer une véritable coéducation.

Qu’est-ce que les enseignants ont à gagner de la coéducation ? Quelles difficultés peuvent-ils rencontrer ?

“ Les difficultés proviennent le plus souvent de malentendus sur la définition de cette responsabilité éducative partagée. ”

Ouvrir la porte aux parents permet de mieux faire comprendre la complexité du métier, ce qui apporte souvent reconnaissance et confiance. L’intérêt supérieur de l’enfant reste central : la posture d’ouverture, que j’appelle la posture coéducative, favorise une meilleure connaissance des familles, des logiques d’éducation et une collaboration plus efficace, bénéfique à l’élève.

Mais cela représente une charge de travail supplémentaire et reste soumis aux aléas des relations humaines. Même en faisant « très bien », il y aura toujours des situations de friction, des difficultés, qui proviennent le plus souvent de malentendus sur la définition de cette responsabilité éducative partagée. L’École fonctionnait autrefois avec d’un côté l’instruction et, de l’autre, l’éducation. Il n’y avait pas cette « intersection » entre instruction et éducation. La relation parents-enseignants se limitait à un simple échange d’informations. Bien que ce modèle soit dépassé, du fait que la coéducation est devenue une compétence intégrée au référentiel des enseignants, certains y restent attachés, ce qui complique la coéducation.

Quelles sont les limites de la coéducation ? Les formations initiales et continues permettent-elles de mieux l’appréhender ?

“ Certains parents souhaitent aller plus loin, ce qui peut générer des tensions. ”

La coéducation est un partage, un échange, mais le modèle français n’intègre pas les parents dans la création du projet pédagogique. Certains souhaitent aller plus loin, ce qui peut générer des tensions. Parfois, c’est parce qu’on n’a pas assez explicité les règles et que, dès le départ, on n’a pas dit assez clairement où cette coéducation s’arrêtait. Il faut donc rester vigilant et rectifier si nécessaire.

Par ailleurs, on constate que ces risques sont aussi liés au niveau de préparation des enseignants. Avoir les bonnes postures nécessite de la formation, et notamment une formation initiale précise. La formation initiale aborde trop peu la relation avec les parents et la formation continue reste insuffisante. L’idéal serait de développer des groupes d’analyse de pratiques autour des situations complexes avec les parents pour prendre du recul sur les raisons des conflits. Les enseignants peuvent également consulter des ressources en ligne, notamment sur le site de l’Institut français de l’Éducation, où l’on trouve des apports de chercheurs ainsi que des exemples de dispositifs concrets. Ils peuvent ainsi retrouver des tutos, des explications et descriptions de dispositifs, des exemples de grilles d’entretien individuel avec les parents…

Quel a été l’impact de la crise sanitaire de 2020 ?

“ La crise a bousculé la relation école-familles : elle a mis en avant la valeur du travail enseignant, mais a aussi provoqué une confusion des rôles et une intrusion dans la vie privée ”

La crise a bousculé la relation école-familles : elle a mis en avant la valeur du travail enseignant, mais a aussi provoqué une confusion des rôles et une intrusion dans la vie privée.

La continuité pédagogique a reposé sur les parents, souvent sans réelle coopération. Les enseignants qui avaient déjà instauré une démarche de coéducation ont pu mieux s’adapter, tandis que les autres ont vécu plus difficilement cette proximité inédite avec les familles.

Si l’on réinterroge les trois postures de la coéducation réussie, on voit bien qu’elles n’ont pu être mises en œuvre, car les enseignants ont été eux-mêmes largement pris au dépourvu. Ils ont dû, le plus souvent possible, expliciter, sans quoi les parents n’auraient pas pu transmettre, mais ils n’ont pas pu coopérer, car ce n’était pas le lieu. Concernant la parité d’estime, cela a été d’autant plus compliqué. Pour les enseignants ayant déjà mis en place de la coéducation avec les parents, les choses ont été sans doute plus faciles : ils ont pu mieux s’adapter puisqu’ils connaissaient déjà très bien les familles. Pour les autres, cette période a été bien plus difficile, car ils sont allés à la découverte des univers familiaux.

Selon certains enseignants interrogés, il y a eu une véritable découverte et un enrichissement dans cette nouvelle relation individuelle avec les parents. Côté parents, il y a aussi eu une véritable découverte du rôle de l’enseignant. Ils se sont rendu compte à quel point son travail était précieux et important pour leurs enfants. Ils ont également appris ce qu’était l’apprentissage scolaire.

On est « rentrés les uns chez les autres », les enseignants ayant montré leur façon de travailler, et les parents leur façon de vivre. Il a donc fallu ensuite remettre de la distance tout en faisant fructifier les effets positifs de ce rapprochement.

Quelles recommandations pourriez-vous faire pour une relation parents/enseignants de qualité ?

“ Il s’agit avant tout de réfléchir à l’accueil des parents. Il faut se poser les mêmes questions que celles que nous avons pour les actes pédagogiques avec les élèves. ”

Comme je le disais, il s’agit avant tout de réfléchir à l’accueil des parents. Il faut se poser les mêmes questions que celles que nous avons pour les actes pédagogiques avec les élèves : lors de la première réunion, comment vais-je installer le bureau ? Comment parler aux parents et que vais-je leur dire ? Comment vais-je les rassurer ? Quels sont mes objectifs pour cette rencontre ? Cela permettra de créer une relation de confiance plus rapidement et plus « facilement ».

Il est aussi nécessaire de se souvenir de l’asymétrie dans la relation avec les parents. Ce sont les enseignants qui sont les professionnels, qui mettent en place les cadres, qui détiennent les savoirs sur la manière dont l’institution fonctionne. On ne peut pas attendre du parent qu’il soit un égal. Certains parents craignent l’école, craignent le jugement : il ne faut jamais l’oublier. C’est donc aux enseignants d’ouvrir la porte et d’expliquer l’école.

 

*La coéducation à l’école, c’est possible ! de Catherine Hurtig-Delattre, éditions Chroniques Sociales, 2016

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