La relation entre les familles et les enseignants est souvent décrite comme une relation complexe. Selon vous, cette relation s’est-elle dégradée ces dernières années ? Et comment a-t-elle évolué depuis la crise sanitaire ?

Grégoire Ensel : La relation parent/enseignant est complexe, en effet car lorsqu’un parent parle à un enseignant, sa propre histoire avec l’école raisonne toujours en lui. Elle peut être positive ou négative et, dans le même temps, il interagit pour ce qui lui est le plus cher, son enfant. Il est difficile de généraliser sur une possible dégradation de la relation parents/enseignants. Ce que l’on constate sur le terrain, c’est que la nature de la relation dépend de la qualité du dialogue qui s’instaure – ou pas – entre coéducateurs. La crise sanitaire a permis de croiser les regards sur ce qui se passe à l’école et ce qui se passe à la maison. Quand cela se fait sans jugement et dans l’entraide, cela perdure au bénéfice de l’enfant-élève. Dans le cas contraire, cela peut cristalliser le repli et la défiance.

Vincent Bouba : C’est en effet une relation qui a toujours été complexe et, dans les faits, il n’est pas toujours facile de créer et de maintenir les conditions d’un dialogue entre enseignants et parents. Les personnels peuvent être souvent exposés à des situations susceptibles d’altérer un climat de confiance.

Durant la crise sanitaire, en raison de l’enseignement à distance, des conflits ont pu exister (insultes par e-mail, pressions sur les enseignants à des horaires très tardifs,…). L’espace de la classe et le temps scolaire ont été bouleversés, et il conviendra d’analyser avec plus de recul les conséquences sur les relations parents/enseignants.

 

Quels sont selon vous les éléments constitutifs de cette relation complexe entre les familles et les enseignants ?

Grégoire Ensel : L’enfant est bien sûr au centre de cette relation avec un objectif convergent, à savoir la réussite de l’enfant-élève. Mais le climat anxiogène, stressant, dans lequel nous vivons depuis quelques années fait que nous attendons énormément de l’école publique au moment même où elle manque cruellement de moyens pour accomplir ses missions.

Vincent Bouba : Actuellement, les remontées des dossiers traités par nos équipes font apparaître un retour aux conditions dégradées que nous avions connues avant la période de pandémie. Ces relations s’inscrivent cependant dans un contexte social, environnemental et économique tendu, un environnement en profonde mutation. Cela va donc nourrir les conflits et les attentes des parents d’élèves restent, à ce jour, très fortes vis-à-vis de l’école

Les familles ne demandent-elles pas trop aux enseignants ?

Grégoire Ensel : Bien sûr que si ! Souvent ! Et c’est un beau signe de confiance, non ? Les familles n’attendent pas de l’école qu’elle leur prescrive comment éduquer leurs enfants, et c’est pourtant le sentiment qu’elles ont trop souvent. Ce que les parents demandent, c’est de comprendre ce qui se passe à l’école. Que cela ait du sens pour être complètement investi, relayé et soutenu à la maison.

Crise climatique, crise sociale, crise économique, crise politique… Notre société a une dette de bienveillance envers les enfants et les citoyens de demain. L’école dont les missions essentielles sont d’éduquer, de protéger et de former les citoyens de demain, doit être le premier lieu où la société doit honorer cette dette… Alors, les attentes sont fortes. C’est pour cela que tous les espaces de dialogue formels comme informels doivent être investis et animés. Il est important de donner et de redonner aux parents les clés de l’école pour qu’ils puissent y trouver pleinement la place qui est la leur.

Et à l’inverse, les enseignants n’en attendent-ils pas trop des parents ?

Vincent Bouba : L’enseignant inscrit ses actions, son acte pédagogique, sa pensée dans un collectif avec des règles et des valeurs de faire et de vivre ensemble alors que le parent porte un regard individuel sur son enfant. Le collectif de la classe s’inscrit également dans un ensemble bien plus large, au sein de l’établissement et de son projet. Les exigences, les règles de vie au domicile et à l’école diffèrent donc, et cela peut être source de tension et de conflit entre enseignants et parents. Ainsi, ajoutons à cela que lorsque l’enfant devient élève, il emporte avec lui ses réussites, ses doutes, ses difficultés, sa vie familiale… Tout ce qui constitue les individus que nous sommes.

L’école est donc un lieu à privilégier, c’est un lieu indispensable, car les enseignants forment les citoyens de demain. Elle ne peut pas être considérée comme un bien de consommation, et certains parents auraient tendance à l’envisager de la sorte.

Le dialogue entre les acteurs de la communauté éducative s’avère donc indispensable, et le rappel de la distinction entre la vie à la maison et la vie en classe, les règles, les droits et devoirs qui en découlent doivent être affirmés sans cesse. Ces temps de vie ne sont pas en opposition, mais s’inscrivent dans une complémentarité.

Le baromètre du climat scolaire 2021 montre une augmentation de la catégorie « Conflits » depuis deux ans, et indique que dans 48 % des cas, les représentants légaux sont impliqués dans les litiges (+ 10 % par rapport à 2020). Comment l’expliquez-vous ? Pour vous, certains conflits pourraient-ils être évités ? Et si oui, comment ?

Grégoire Ensel : La plupart de ces conflits pourrait être au moins atténuée si l’on accueillait cette agressivité pour ce qu’elle est le plus souvent : l’inquiétude forte et la peur. La peur pour ce qu’ils ont de plus cher, leur enfant, et la volonté de maîtriser ce que l’on peut dans l’océan des incertitudes du quotidien. Il suffit parfois de quelques mots pour faire baisser la pression. Du dialogue naît très souvent la solution !

Quant à la hausse qui est constatée, elle n’est pas acceptable et elle est sans doute étroitement corrélée avec la hausse de l’inquiétude partagée par toutes et tous pour l’avenir de nos enfants. Notre société fait face à de nombreuses crises (climatique, sociale, économique, politique…) et l’école est très impactée par celles-ci. Elle sera toujours le reflet de notre société.

C’est en réexpliquant sans cesse la place et le rôle de chacun que nous pouvons faire avancer les choses. Nous intervenons au quotidien et de façon très discrète pour dénouer des situations qui pourraient bien souvent se crisper sans intervention de notre part, autant au niveau de l’établissement scolaire que de l’institution. C’est la force des parents fédérés : ils sont formés, informés et disposent de ressources, d’outils pour agir. Ils ont la force d’un réseau de parents d’élèves et d’une fédération à leurs côtés, et cela fait toute la différence.

Vincent Bouba : Ces conflits sont bien souvent déclenchés par des faits qui peuvent être anodins. Ce sont des incompréhensions qui peuvent être source de tension. Le manque de soutien, la remise en cause par un parent d’une décision prise par un enseignant, peuvent très vite dégénérer et prendre des proportions très importantes.

Alors que l’enseignant attend une certaine compréhension et coopération de la part du parent, il peut recevoir en retour un discours et un message contraires, qui plus est, porté par l’enfant lui-même (le mot dans le carnet de correspondance).

Nous pensons que la clé réside dans une meilleure compréhension des rôles de chacun et dans une mise au clair des responsabilités de part et d’autre. Les faits déclencheurs sont souvent liés à de petites incompréhensions mutuelles, les conflits pourraient donc être aisément évités.

 

Quels sont selon vous les ingrédients essentiels et les pistes pour améliorer les relations et restaurer la confiance entre les parents et l’école ?

Grégoire Ensel : C’est le fruit de l’histoire éducative de notre pays, parents et enseignants appartiennent tous deux à la communauté éducative : ils sont coéducateurs et ont pour intérêt commun l’enfant. Le Code de l’éducation prévoit tout le nécessaire pour que les droits et devoirs de chacun soient respectés. Cette relation doit se construire et s’animer chaque jour. Un proverbe africain dit qu’ « il faut tout un village pour élever un enfant ». Personnels enseignants, personnels de vie scolaire, AESH, ATSEM, infirmières, médecins scolaires… Il est urgent et indispensable de renforcer le nombre d’adultes présents dans les établissements scolaires.

Se connaître mieux pour se reconnaître, certes différents en moyens et modes d’accompagnement vers la réussite, mais tout à fait égaux en légitimité à agir et à parler de l’enfant.

Vincent Bouba : Nous pensons qu’il est important de constamment agir pour maintenir la confiance entre les parents et l’école. Pour L’ASL, les parents ne sont en aucun cas les adversaires des personnels. Ils doivent être de réels partenaires, car les personnels de l’éducation qui œuvrent au quotidien pour les élèves partagent cette volonté de faire réussir et de faire progresser chaque élève.

La relation ne peut se résumer à un simple échange d’informations, que l’on soit parent ou enseignant. Il faut savoir s’écouter, partager, initier des lieux d’échange et identifier précisément les responsabilités, les domaines de compétences, mais aussi les droits, les obligations qui incombent à chacun. Les échanges réguliers sont donc à favoriser.

De plus, les personnels œuvrant dans les établissements scolaires exercent un rôle primordial dans notre société et ont besoin d’être soutenus et reconnus, non seulement par leur institution, mais par la société tout entière.

 

Y a-t-il des expérimentations pour améliorer la relation parents/enseignants ? Des mesures testées sur le terrain ont-elles prouvé leur efficacité ?

Grégoire Ensel : Oui, chaque projet d’établissement est une expérimentation… Il doit être réellement coconstruit et intégrer cette dimension de la relation parents/enseignants, et garantir la place des parents dans la vie de l’établissement scolaire. Lorsque les enfants voient que les parents sont présents au propre comme au sens figuré dans la vie de l’établissement, tout au long de l’année scolaire, cela est très modélisant et participe à améliorer le climat scolaire.

Conférences sur le harcèlement scolaire, ateliers de parents pour la prise en main de l’ENT, petits déjeuners à l’école ou au collège, webinaires Parcoursup, permanences dans l’établissement scolaire, formations à l’utilisation des fonds sociaux, formations à la fonction de parent délégué, participation aux commissions menus… Et ce ne sont que quelques exemples, les parents d’élèves FCPE prennent toute leur part avec passion et engagement. Ils abattent un travail de terrain énorme pour permettre à leurs pairs de trouver leur juste place dans l’école. Ce sont des bénévoles de la République, et il est important de valoriser cet engagement citoyen !

Vincent Bouba : De notre côté, nous avons d’ores et déjà, et ce depuis de nombreuses années, réalisé des actions où se côtoient enseignants, élèves et parents. Je peux notamment citer des conférences sur le thème du numérique et de l’utilisation des réseaux sociaux où le public présent était constitué d’adolescents, de parents et d’enseignants. Ces regards croisés sur ce sujet permettent d’avancer collectivement et de s’engager vers des bonne pratiques, d’avoir une attitude réflexive par rapport à nos comportements numériques, autant du point de vue de l’élève que de l’adulte.  En tant qu’acteur connu et reconnu en matière de prévention des risques, L’ASL pourrait déployer, à plus grande envergure, de telles initiatives. Enfin, reconnaissons également que nous ne pourrons jamais estomper les difficultés, nous sommes dans le domaine des relations humaines… mais œuvrons de concert pour les dissiper et ainsi toujours favoriser la compréhension, le respect de l’autre, le respect de nos diversités. C’est essentiel.

 

Quel rôle L’ASL et la FCPE peuvent-elles jouer dans l’amélioration de la relation ?

Grégoire Ensel : Réaffirmer sans cesse la force de la coéducation, se mobiliser pour que le tandem parents/enseignants soit fortifié ou régénéré en tous lieux. Formations communes, colloques, valorisation de projets réussis et prises de parole conjointes sont très utiles. Tout est possible.

Vincent Bouba : Des travaux communs avec la FCPE pourraient être engagés dès à présent. La publication de notre baromètre climat scolaire 2022 pourrait être un point de départ afin d’évoquer ce sujet essentiel qu’est la relation entre les enseignants et les parents, car seule une relation apaisée, riche et nourrie peut concourir à la réussite de toutes et de tous. Nous parviendrons ainsi à tenter de trouver, chacun dans sa compétence, de possibles solutions.

 

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