Dans le quotidien des établissements scolaires, les contestations d’enseignement, qu’elles proviennent d’élèves ou de parents, ne sont plus marginales. Les bilans mensuels du ministère de l’Éducation nationale montrent que la catégorie « Contestation d’enseignement » représente régulièrement 15 à 25 % des signalements d’atteintes à la laïcité, soit plusieurs centaines de situations chaque mois. À titre d’exemple, en mars 2025, 183 contestations d’enseignement ont été recensées sur 658 atteintes signalées (source : bilans laïcité du MEN).
Certaines disciplines sont particulièrement exposées, car elles abordent des questions sensibles, identitaires, mémorielles ou intimes. Quelles sont ces disciplines ? Comment prévenir et agir face aux contestations d’enseignement ?
Histoire-géographie : mémoires, religions, conflits contemporains
“ L’histoire-géographie reste l’une des disciplines les plus contestées. ”
L’histoire-géographie reste l’une des disciplines les plus contestées, notamment sur :
- le fait religieux et la laïcité
Les discours de contestation apparaissent souvent lorsque la classe aborde les religions ou les relations entre croyances, démocratie et institutions. - les génocides, la Shoah, les totalitarismes
Ces cours sont au cœur de la politique de lutte contre l’antisémitisme et demandent une grande maîtrise historique. Pour Iannis Roder, professeur d’histoire-géographie et responsable des formations au Mémorial de la Shoah, « enseigner la Shoah demande une connaissance très fine, non seulement de l’histoire de la Shoah, mais aussi du nazisme. (…) La formation scientifique est très importante, parce qu’il faut avoir du répondant ! » - la colonisation, les décolonisations, les conflits contemporains
Ces chapitres deviennent sensibles lorsque l’actualité internationale, notamment au Proche-Orient, influence les représentations des élèves.
“ Le chapitre sur la liberté d’expression reste un moment délicat. Certains élèves refusent d’envisager qu’une caricature puisse être légale. Je n’aborde plus ce thème sans prévenir mon chef d’établissement. ”
SVT : évolution, sexualité et vie affective
La discipline fait face à deux grands champs de contestation :
- la théorie de l’évolution
Le créationnisme réfute la théorie de l’évolution des espèces. Certaines familles questionnent l’enseignement scientifique au nom de la foi ou d’une lecture littérale des textes religieux. - l’éducation à la sexualité (programme EVARS)
Les enseignants, les médecins, les infirmières scolaires et les intervenants extérieurs sont confrontés à des réactions violentes des élèves lorsque ces notions sont abordées. Elles sont pourtant au programme depuis 1973.
Le dispositif EVARS (Espaces vie affective, relationnelle et sexuelle), obligatoire depuis la rentrée 2025 (arrêté du 3 février 2025, BO n° 6 du 6 février), étend l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle du primaire au lycée. Cette réforme a suscité de vifs débats, certains groupes dénonçant l’introduction d’une « idéologie du genre ».
“ Certains élèves remettent en question l’évolution au nom de leur foi. Je rappelle les faits scientifiques, calmement. Souvent, 'comprendre' et 'adhérer' sont confondus. ”
Enseignement moral et civique (EMC) : citoyenneté, égalité, valeurs communes
L’EMC est la discipline la plus exposée aux tensions idéologiques, car elle traite de :
- la liberté d’expression ;
- l’égalité femmes-hommes ;
- la lutte contre les discriminations ;
- les valeurs de la République ;
- la laïcité.
Les bilans de la laïcité montrent que de nombreuses contestations d’enseignement concernent des contenus d’EMC ou des projets citoyens
“ Les contestations apparaissent souvent quand les élèves vont mal. Un cours d’EMC devient le lieu où s’expriment tensions familiales, sociales, identitaires. Les enseignants se retrouvent parfois seuls. ”
EPS : pudeur, mixité, refus d’activités
Les contestations en EPS se manifestent de diverses façons :
- refus de porter les tenues sportives réglementaires ;
- refus de participer à certaines activités (natation, activités de plein air…) ;
- contestations autour de la mixité des groupes, la préservation de la pudeur ;
- absence non justifiée lors de certaines activités.
Ces contestations, liées aux convictions familiales ou religieuses, figurent régulièrement dans les situations suivies par les équipes académiques.
“ Pour la piscine, les contestations viennent souvent des parents. Certaines familles refusent pour des raisons de pudeur. On suit la procédure, mais cela reste éprouvant. ”
Français, arts plastiques et éducation musicale : des contestations plus ponctuelles, mais réelles
Si l’histoire-géographie, les SVT, l’EMC et l’EPS concentrent la majorité des contestations d’enseignement, d’autres disciplines comme le français, les arts plastiques et l’éducation musicale peuvent elles aussi être le théâtre de tensions. Ces contestations, moins fréquentes et plus hétérogènes selon les contextes, n’en demeurent pas moins significatives pour les équipes pédagogiques.
En français : œuvres « choquantes », représentations du sacré
Les contestations en français relèvent souvent de perceptions individuelles ou familiales vis-à-vis :
- d’œuvres littéraires évoquant la sexualité, la violence ou la vie intime d’un personnage ;
- de textes jugés blasphématoires ou portant atteinte au sacré ;
- de lectures perçues comme contraires aux valeurs familiales ;
- d’œuvres contemporaines abordant la laïcité, l’émancipation, l’homosexualité.
Ces situations émergent plus souvent dans des périodes où les liens famille–école sont fragilisés, ou lorsque les élèves rapportent des extraits hors contexte, notamment sur les réseaux sociaux.
En arts plastiques : représentations du corps, interdits iconographiques
En arts plastiques, certaines contestations prennent la forme de :
- refus de dessiner ou représenter le corps humain ;
- refus de travailler sur la figure humaine, le visage ou la photographie,
- difficultés à aborder certaines œuvres comportant du nu artistique, notamment parmi les grands classiques étudiés en histoire de l’art (Michel-Ange, Botticelli, Raphaël…) ;
- suspicion de « religion » dans certaines œuvres (icônes, vitraux, art sacré).
Ces blocages restent minoritaires, mais nécessitent une grande pédagogie de la part des enseignants pour rappeler les enjeux culturels et historiques des œuvres étudiées.
En éducation musicale : refus de chant, interprétations religieuses ou culturelles
En éducation musicale, les contestations relèvent principalement de :
- refus de chanter (souvent justifié par des raisons de pudeur, de timidité ou de convictions) ;
- réticence à interpréter des chants en langues étrangères ;
- incompréhensions autour de chants issus du patrimoine culturel (par exemple, certains chants traditionnels ou de Noël), que certaines familles interprètent à tort comme religieux ;
- critiques de la danse ou de la dimension corporelle de certaines activités.
Ces situations sont généralement ponctuelles, mais elles peuvent générer des tensions lorsqu’elles sont interprétées comme un refus d’assiduité.
“ Un parent a refusé que son enfant chante un cantique traditionnel étudié pour son intérêt musical. Il pensait que c’était une pratique religieuse. J’ai dû préciser qu’il s’agissait d’un répertoire patrimonial et non d’une adhésion à une croyance. ”
Ces contestations restent moins fréquentes, car elles traitent moins directement des sujets identitaires « chauds » (géopolitique, religion, sexualité, égalité). Les programmes y sont plus diversifiés, permettant des adaptations pédagogiques plus souples ; les situations conflictuelles sont souvent individualisées, en lien avec un élève ou une famille, et donc moins visibles au niveau statistique national. Enfin, lorsqu’elles surviennent, ces contestations se résolvent majoritairement à l’échelle de l’établissement sans signalement institutionnel. Elles n’en demeurent pas moins importantes à accompagner, car elles touchent au rapport intime que les élèves entretiennent avec l’art, la littérature ou la musique ; elles mobilisent parfois des enjeux religieux, culturels ou familiaux et peuvent fragiliser les enseignants s’ils se retrouvent isolés.
Pourquoi les contestations augmentent-elles ?
Les contestations d’enseignement s’inscrivent dans un contexte marqué par de fortes évolutions sociales. Plusieurs facteurs se combinent :
Un contexte international tendu
Les conflits, les tensions géopolitiques et les débats sociétaux très médiatisés pénètrent aujourd’hui dans la classe et rendent certains chapitres particulièrement sensibles (religions, géopolitique, mémoires, discriminations).
L’influence des réseaux sociaux
TikTok, Instagram ou Telegram diffusent massivement des contenus non vérifiés ou idéologiques. Ces rumeurs ou simplifications alimentent malentendus et oppositions face aux savoirs scolaires.
Un lien familles-école fragilisé
Attentes individualisées, pressions scolaires, méfiances institutionnelles : un désaccord ou une incompréhension se transforme plus rapidement qu’avant en contestation, souvent sans connaissance précise des programmes.
La montée des revendications identitaires
Certaines familles ou élèves défendent des positions culturelles, religieuses, morales ou politiques qui peuvent entrer en tension avec des contenus obligatoires (égalité, sexualité, laïcité, arts, histoire).
L’introduction du programme EVARS
L’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle, étendue du primaire au lycée dès 2025, suscite ponctuellement des inquiétudes, souvent nourries par des rumeurs ou une méconnaissance des contenus réels.
La contestation d’enseignement reflète les tensions sociales, identitaires et culturelles qui traversent la société. Dans tous les cas, l’enseignant ne doit jamais rester isolé. Il peut s’appuyer à la fois sur son équipe de direction, sur les Équipes académiques Valeurs de la République (EAVR) et sur les référents laïcité, dont la mission est d’apporter un soutien concret, un cadre d’analyse et des réponses adaptées aux difficultés rencontrées. Les ressources pédagogiques et juridiques mises à disposition par l’institution, ainsi que l’accompagnement solidaire et personnalisé de L’ASL, complètent cet ensemble d’appuis essentiels. En mobilisant ces dispositifs, chacun peut faire face aux contestations dans un cadre sécurisé, clair et conforme aux principes de l’école républicaine.