Conseiller pédagogique dans le premier degré, professeur des écoles, Cédric L. est devenu référent laïcité en 2021, tandis que son académie constituait une équipe dans le cadre du programme national des 1 000 formateurs à la laïcité initié par Jean-Michel Blanquer, alors ministre de l’Éducation nationale.

Comment êtes-vous devenu référent laïcité ?

“ En commençant la formation, je me suis rendu compte que c’était un champ bien plus vaste que ce que j’imaginais. ”

Cédric L. : Je n’ai pas postulé, c’est ma hiérarchie qui m’a sollicité. J’avais déjà fait des animations pédagogiques autour des valeurs de la République, et je viens d’une famille engagée dans la défense des droits de l’homme. Au départ, je pensais connaître la laïcité, comme beaucoup d’enseignants. Mais en commençant la formation, je me suis rendu compte que c’était un champ bien plus vaste que ce que j’imaginais : l’histoire du principe, les dimensions philosophiques, les aspects juridiques, les procédures institutionnelles, mais aussi l’accompagnement pédagogique et le travail avec les familles. Cette remise à niveau m’a vraiment structuré. J’ai suivi la totalité de la formation des 1 000 formateurs depuis le début et j’ai participé ensuite à l’ensemble du déploiement des quatre temps de formation sur l’académie. Il a fallu donc que nous, formateurs, soyons formés, pour à notre tour former les enseignants, et plus largement la communauté éducative. Nous avons considéré que le plan s’adressait à toutes les personnes qui participaient à la communauté éducative. Depuis, je fais partie de l’Équipe académique Valeurs de la République.

Quand on parle d’atteintes à la laïcité dans les écoles, collèges ou lycées, de quoi parle-t-on vraiment ?

“ Les cas les plus difficiles ne sont pas forcément les plus graves. Ce sont souvent des zones grises, des situations où l’on ne sait pas tout de suite si une règle est enfreinte. ”

Cédric L. : D’abord, j’insiste : toutes les situations n’ont pas la même gravité. On a parfois tendance à tout mettre dans la même catégorie, alors qu’en réalité il y a des nuances importantes. Dans le premier degré, les situations les plus courantes ont longtemps concerné essentiellement le port de signes religieux ostentatoires, ainsi que des refus de participation à certaines activités, comme des sorties patrimoniales avec des visites de lieux de culte, l’EPS, ou des activités jugées incompatibles avec les convictions familiales… Là encore, il faut distinguer ce qui relève réellement de la laïcité et ce qui relève d’autres problématiques éducatives.

On peut aussi rencontrer des discours déjà construits chez des enfants très jeunes, influencés par leur environnement.
Les cas les plus difficiles ne sont pas forcément les plus graves. Ce sont souvent des zones grises, des situations où l’on ne sait pas tout de suite si une règle est enfreinte : discours idéologiques, contestations d’un enseignement, comportements influencés par les réseaux sociaux, propos rapportés de l’environnement familial. Les équipes éducatives peuvent alors hésiter : est-ce une atteinte ? Est-ce un malentendu ? Comment agir ?

Depuis la circulaire du 31 août 2023 interdisant le port de l’abaya (ou du qamis) au sein des écoles, collèges et lycées publics, les règles sur les tenues sont plus claires, ce qui facilite la gestion de certaines situations.
En revanche, ce que nous voyons progresser aujourd’hui, ce sont les tensions liées à l’actualité internationale. Cela peut se traduire par des propos antisémites ou racistes devant lesquels les équipes sont parfois démunies pour y répondre. Nous travaillons justement actuellement sur des formations spécifiques concernant ces sujets et la création de ressources qui seront à disposition des collègues.

Comment accompagnez-vous les enseignants ou personnels confrontés à ces situations ?

“ On construit les réponses ensemble, avec cohérence. C’est ce qui rassure les équipes. ”

Cédric L. : Mon rôle est d’aider, écouter, clarifier, accompagner. L’écoute est primordiale. Souvent, l’enseignant a besoin de comprendre ce qu’il vit : est-ce une atteinte ? Comment y répondre ? Quelle loi s’applique ? Dans le second degré, les Équipes académiques Valeurs de la République (EAVR) peuvent aussi rencontrer les équipes, voire les élèves. Enfin, pour accompagner, je suis aussi formateur. J’ai participé aux formations de sic heures qui ont été déployées depuis quatre ans. Elles permettaient de travailler sur ce qu’est la laïcité : la distinction savoirs / croyances / opinions ; le parcours citoyen ; et cette année, quatrième temps du plan, la prévention du racisme et de l’antisémitisme et des discriminations liées à l’origine, comme je le disais.

Le travail collectif est le cœur du dispositif : on construit les réponses ensemble, avec cohérence. C’est ce qui rassure les équipes. Aujourd’hui, je suis moins sollicité directement, car les circonscriptions ont désormais leurs propres référents. Les équipes sont mieux organisées.

Comment une situation d’atteinte à la laïcité est-elle prise en charge, du premier signalement à la réponse de l’institution ?

“ Dans tous les cas, la priorité reste la même : le dialogue. On commence par comprendre la situation, clarifier les faits, contextualiser. ”

Cédric L. : Il existe deux chemins possibles. Le premier est la voie hiérarchique (la plus fréquente). Quand un enseignant rencontre une situation problématique, il en parle à son directeur ou chef d’établissement. Celui-ci engage d’abord un dialogue avec l’élève ou la famille. Si cela ne suffit pas, il sollicite l’IEN. L’IEN décide ensuite de saisir ou non l’Équipe académique Valeurs de la République. Chaque territoire a ses habitudes : certaines équipes privilégient le dialogue, d’autres sollicitent plus rapidement l’EAVR.
La seconde voie, c’est le signalement direct via le site Éduscol. N’importe quel enseignant peut remplir la fiche de signalement en ligne. Cette possibilité est importante : elle permet à un enseignant de ne pas se sentir seul ou ignoré par sa hiérarchie.

Dans tous les cas, la priorité reste la même : le dialogue. On commence par comprendre la situation, clarifier les faits, contextualiser. Le vade-mecum nous rappelle que la réponse doit être pédagogique, déontologique et juridique, mais toujours adaptée et proportionnée.

Les personnels sont-ils aujourd’hui mieux outillés ?

“ Je crois qu’on a surtout gagné en cohérence et en habitudes de travail collectif. Et c’était indispensable. ”

Cédric L. : Je ne peux pas répondre à la place des enseignants. Je n’ai pas d’indicateurs chiffrés, et les ressentis varient. Mais je constate que les équipes sont plus structurées : elles savent vers qui se tourner, elles utilisent mieux les outils, elles se concertent davantage ; les formations ont été plutôt bien accueillies. Je crois qu’on a surtout gagné en cohérence et en habitudes de travail collectif. Et c’était indispensable.
Nous vivons dans une société laïque. Ce qui a manqué ces dernières années, ce n’est pas l’adhésion à cette valeur, mais la réassurance et la cohérence. Ce qui était important pour les collègues, c’était de se sentir soutenus après les attentats de Samuel Paty et de Dominique Bernard.
Pour avancer, il faut maintenir des réponses concertées : renforcer les espaces de dialogue ; poursuivre la formation continue et initiale ; proposer des ressources claires et accessibles ; travailler le vivre-ensemble, l’égalité, la fraternité ; installer un climat où la laïcité est vécue comme une protection, pas comme une contrainte.

Une charte de la laïcité, c’est vraiment l’outil de base indispensable. Elle doit être affichée dans toutes les classes et permettra de mettre en place des actions d’un point de vue pédagogique.
Pour essayer de travailler avec les enfants, on a des objectifs bien précis, des ressources en ligne à disposition des enseignants qui ont d’ailleurs été créées par l’Équipe Valeurs de la République. L’objectif doit toujours être éducatif. Nous cherchons à offrir aux élèves les meilleures conditions pour favoriser leur réussite scolaire, leur épanouissement personnel, leur bien-être à l’école et, ce faisant, défendre l’école de la confiance.

* Par souci d’anonymat, le prénom a été modifié.

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