Avez-vous été fréquemment saisie de plaintes mettant en cause des agents de l’Éducation nationale ? Pour quels motifs et quelles ont été les suites données ?

Nous avons en effet été saisis à plusieurs reprises, par des parents, concernant des violences commises à l’encontre de leurs enfants par des personnels de l’Éducation nationale ou des agents communaux. Ces parents considéraient que les faits reprochés n’avaient pas fait l’objet des mesures appropriées de la part des autorités publiques. Les enfants concernés se trouvaient être des tout-petits, scolarisés en maternelle, et les violences dénoncées allaient des humiliations sous diverses formes, aux coups ou à l’instauration de mécanismes de sanctions disproportionnés et non respectueux de la dignité et de l’intégrité physique et morale des enfants. Nous avons procédé à l’instruction de ces saisines, dans le cadre des compétences et pouvoirs qui nous étaient dévolus par la Loi organique créant le Défenseur des droits, en particulier par application du principe du contradictoire. De plus, des actions de médiation ont, chaque fois que cela était possible, été engagées. L’une des situations pour lesquelles nous avions été saisis, particulièrement grave au regard de l’âge des enfants, de leur nombre et des conséquences constatées sur leur santé et leur développement, a donné lieu de notre part à des observations en justice, devant la Cour d’appel, puis devant la Cour de cassation, et enfin à une recommandation générale adressée aux services de l’Éducation nationale.

Quelle est la responsabilité de la communauté éducative face à la parole de l’enfant ? Comment la libérer ? Est-il nécessaire de dispenser aux enseignants des formations particulières sur ce sujet ?

La protection de l’enfant victime de violences, en particulier de violences sexuelles, passe en effet par ce qu’on appelle aujourd’hui « la libération de la parole ». Le terme montre d’ailleurs combien il est difficile pour un enfant de dénoncer de tels faits, d’en parler librement, surtout quand ils sont infligés par des adultes censés prendre soin de lui, au sein de sa famille et de son environnement proche. C’est pourquoi il est indispensable de faire en sorte que l’enfant se sente en sécurité, en confiance, dans un climat bienveillant qui l’autorise d’une manière générale à s’exprimer, le cas échéant à se confier, ou en tout cas à poser des questions. Sachant qu’ensuite, il faut être en mesure d’accueillir cette parole, de l’entendre et d’y donner les suites qu’il convient. Disons-le clairement, ces situations sont très difficiles pour les professionnels qui ne doivent jamais rester seuls après avoir recueilli une confidence inquiétante d’un élève. Une difficulté qui s’accompagne de craintes supplémentaires quand l’adulte incriminé est un collègue. La formation des enseignants est indispensable, tant sur l’écoute des enfants, le repérage des situations potentielles de violences, que sur les dispositions à prendre. Il convient également de sensibiliser les enfants via, par exemple, les séances d’éducation à la sexualité par une infirmière scolaire, sous réserve toutefois que celles-ci soient effectives et réellement adaptées. Et, plus largement, de les informer sur le 119 (le SNATED : service national d’accueil téléphonique pour l’enfance en danger).

Quel équilibre préconiseriez-vous de définir pour garantir la présomption d’innocence face à la primauté donnée aux droits de l’enfant ?

Ce que nous disons est à la fois simple et compliqué : la protection des enfants, et donc leur intérêt supérieur, doit constituer une considération primordiale, notamment en cas de doute sur le comportement d’un adulte en contact avec des mineurs du fait de son métier ou de ses fonctions. Sans porter atteinte à la présomption d’innocence ou au respect de la législation du travail, il incombe à l’administration comme à l’employeur privé, notamment associatif, d’engager les démarches appropriées à partir du moment où il existe des éléments suffisants rendant vraisemblables les faits dénoncés.