
Les rapports d’experts, en soutien de la loi, appellent à la prudence : l’exposition des plus jeunes aux réseaux sociaux présente des risques sur leur santé morale et physique. Dans ce contexte, le rôle de l’école est central. Il faut non seulement encadrer l’accès aux réseaux sociaux, mais aussi en enseigner le bon usage.
Le rôle pédagogique de l’École vis-à-vis des réseaux sociaux
?
“ Plus qu’une mission, éduquer aux réseaux sociaux est une obligation. ”
La problématique de l’usage des réseaux sociaux à l’école nécessite de s’interroger à deux égards.
Quel usage les élèves en font-ils entre eux ?
Instagram, Snapchat, X (ex-Twitter)(1), Facebook(2), ou encore TikTok(3) : les réseaux sociaux interdisent l’accès à leurs plateformes aux mineurs de moins de 13 ans. Dans les faits, pourtant, l’essor de ces médias est exponentiel parmi les plus jeunes, qui s’y inscrivent à l’insu ou non de leurs parents. Le réseau social est devenu un espace d’échanges privilégié entre les élèves, participant ainsi à leurs interactions sociales quotidiennes. Mais, à l’instar de tout autre contexte d’interaction sociale, les réseaux sociaux sont aussi le théâtre de dérives.
L’apport de la loi n°2023-566 du 7 juillet 2023(4) visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne
Les réseaux sociaux devront interdire l’inscription des mineurs de moins de 15 ans, sauf accord parental. Un dispositif technique réellement efficace devra être mis en place pour empêcher l’accès aux mineurs de moins de 15 ans. Ces dispositions de la loi ne sont pas encore en vigueur, et aucune date n’a encore été dévoilée.
L’apport du rapport Enfants et écrans : À la recherche du temps perdu(5), paru en avril 2024
Alors même que les plateformes de réseaux sociaux n’ont pas encore mis en place de dispositif technique pour empêcher l’inscription des mineurs de moins de 15 ans, un rapport commandé par l’État à une commission d’experts émet une proposition encore plus drastique : autoriser à partir de 15 ans les seuls réseaux sociaux « éthiques », ainsi désignés par l’ARCOM (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique).
Malgré des lois et des rapports d’experts qui marquent une volonté de retour en arrière sur l’utilisation des réseaux sociaux par les jeunes, aucune mesure concrète n’est encore en place en 2025. En parallèle, le risque de cyberharcèlement scolaire est avéré, avec des retombées très préjudiciables pour les victimes.
Quand l’interdiction des réseaux sociaux à l’école devient complexe à mettre en œuvre, il faut envisager ces médias sous un objectif pédagogique : l’enseignant sensibilise les élèves aux dérives, pour les protéger.
À cet égard, d’ailleurs, le Bulletin officiel de l’Éducation nationale de la Jeunesse et des Sports communiquait déjà en 2015 à propos de la maîtrise du socle commun : « l’élève utilise les espaces collaboratifs et apprend à communiquer notamment par le biais des réseaux sociaux dans le respect de soi et des autres. Il comprend la différence entre sphères publique et privée. Il sait ce qu’est une identité numérique et est attentif aux traces qu’il laisse. »(6) Éduquer aux réseaux sociaux se caractérise alors comme une mission de l’École.
En 2025 – depuis la loi SREN du 21 mai 2024 pour sécuriser et réguler l’espace numérique(7) – éduquer aux réseaux sociaux est, plus qu’une mission, une obligation. Le nouvel article 312-9 du Code de l’éducation impose en effet de former à l’utilisation responsable des outils et des ressources numériques, dont les réseaux sociaux, dès l’école. Cette formation porte notamment sur :
- La protection de la vie privée et la dignité de la personne humaine.
- La sensibilisation contre la manipulation d’ordre commercial et les risques d’escroquerie.
- La sensibilisation sur l’interdiction du harcèlement.
- La sensibilisation à l’impact environnemental des outils numériques.
- Une information sur les contenus générés par l’intelligence artificielle et les risques de désinformation.
- Une sensibilisation aux violences sexistes et sexuelles.
Les représentants légaux des élèves, par ailleurs, doivent recevoir une information annuelle relative aux risques auxquels les enfants s’exposent en ligne, notamment sur les réseaux sociaux.
L’enseignant peut-il utiliser les réseaux sociaux ? Et, dans l’affirmative, dans quelle mesure ?
L’engouement pour les réseaux sociaux de la jeune génération amène à les envisager comme un support pédagogique. L’usage, néanmoins, doit être réfléchi avec soin, prenant notamment en considération l’âge des élèves ainsi que la pertinence du réseau social. Les enseignants, en tout état de cause, ont constaté par la pratique que ce modèle est attractif, et certains se sont essayé à l’intégrer dans leur projet pédagogique pour favoriser la motivation des élèves. Certains réseaux sociaux peuvent être envisagés, avec de très nombreuses précautions, comme un support d’apprentissage adapté à un public par ailleurs très impliqué dans ces pratiques numériques.
L’intérêt pédagogique des réseaux sociaux est donc multiple :
- Dans un contexte où leur utilisation est massive chez les jeunes, ils constituent potentiellement des outils de motivation efficaces pour favoriser l’apprentissage.
- L’intérêt majeur des réseaux sociaux sur le plan pédagogique consiste à sensibiliser les élèves aux dérives de type cyberharcèlement, cyberviolences, ou encore diffamation. Dans la même optique, l’enseignant familiarise les élèves aux risques liés au caractère public de leurs données qui transitent via les réseaux sociaux.
Les enseignants doivent faire preuve d’une grande prudence. Dans un contexte où les réseaux sociaux sont décriés, et menacés d’être interdits aux mineurs de moins de 15 ans, il paraît déplacé d’aller contre : les utiliser en classe comme des outils de travail est une pratique à éviter.
Quels risques et quels cyberdélits anticiper avec l’utilisation des réseaux en milieu scolaire ?
“ L'école a pour mission de sensibiliser les élèves à ces dérives répandues sur les réseaux sociaux. L'enjeu est double : éviter que les infractions aient lieu et protéger les victimes. ”
Les risques numériques doivent être identifiés avec attention.
1 – Les cyberdélits
Dans le cadre de leur utilisation entre élèves, les réseaux sociaux ouvrent la porte aux délits de droit commun, transposés dans l’environnement du web :
- Le cyberharcèlement scolaire, une réalité largement relatée dans l’actualité.
- Les cyberviolences diffusées sur les plateformes.
- La diffamation, publique ou privée, qui peut être constitutive, sous conditions, de cyberharcèlement.
- La dénonciation calomnieuse.
- L‘injure.
- L’outrage, dans des circonstances aggravantes lorsqu’il vise un personnel d’éducation.
- Les menaces.
- L’usurpation d’identité, pour commettre éventuellement un délit.
- La nouvelle infraction de deepfake, ou d’hypertrucages, créée par la loi SREN.
L’école a pour mission de sensibiliser les élèves à ces dérives répandues sur les réseaux sociaux. L’enjeu est double : éviter que les infractions aient lieu et protéger les victimes.
- Pour éviter la survenance de cyberdélits, il faut rappeler les bases de la bonne conduite dans un environnement social. Il s’agit non seulement d’expliquer ce qui ne se fait pas, mais aussi d’informer sur les sanctions. Ex. : un élève n’est peut-être pas conscient que propager une rumeur en identifiant un camarade sur Facebook est constitutif de cyberharcèlement ; en avertissant des sanctions, l’enseignement est d’autant plus percutant. Empêcher les délits permet d’éviter des victimes et protège également les potentiels auteurs de l’infraction contre de lourdes sanctions pénales.
Depuis le décret du 16 août 2023, applicable dès la rentrée 2023, le Code de l’éducation(8) prévoit l’éviction de l’élève cyberharceleur dès le primaire, sur demande du directeur de l’école. Cet exemple de sanction est évocateur : les élèves sont d’autant mieux incités à surveiller leur comportement sur les réseaux sociaux. C’est également une sanction qui responsabilise les parents d’élèves.
Le nouvel article 131-35-1 du code pénal, rétabli par l’article 16 de la loi SREN, prévoit une peine de bannissement des réseaux sociaux pour les auteurs de cyberharcèlement sur ces réseaux sociaux.
- Pour protéger les victimes de cyberdélits, il faut enseigner la marche à suivre et se tenir à l’écoute. Il est à noter que les enseignants sont également concernés : ils peuvent, comme les élèves, être victimes de cyberharcèlement, de menaces, ou encore d’injures sur les réseaux sociaux. Depuis la rentrée 2023, des moyens d’action renforcés ont été déployés : la ligne d’écoute nationale 3018 dispose d’un budget supérieur, des référents harcèlement sont nommés dans les collèges pour gérer la prévention et la résolution des situations préjudiciables.
2 – Le risque d’addiction
Ce risque n’est pas constitutif d’atteinte à la personne, mais mérite d’être appréhendé. Le Code de l’éducation, d’ailleurs, impose de former aux risques d’addictions comportementales au numérique. Cela implique non seulement d’informer sur le risque d’addiction, et aussi de limiter le temps d’utilisation des réseaux sociaux. Les parents des jeunes élèves doivent aussi être sensibilisés à ce risque.
- Les réseaux sociaux, s’ils sont utilisés par l’enseignant dans le cadre d’un projet pédagogique, ne doivent pas se substituer aux autres supports d’enseignement.
- Si le règlement intérieur n’interdit pas les smartphones dans l’enceinte de l’école, il peut être recommandé d’en limiter l’utilisation.
À cet égard, la loi du 7 juillet 2023 prévoyait d’instaurer un dispositif systématique de temps d’écran, obligatoire pour les mineurs. L’ancienne ministre de l’Éducation nationale, Nicole Belloubet, par ailleurs, évoquait en avril 2024 la généralisation de l’interdiction des téléphones portables au collège(9), une pause numérique qui devrait être généralisée à la rentrée 2025(10), annoncée par la ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la recherche, Elisabeth Borne.
3 – La volatilité des données personnelles
L’utilisateur d’un réseau social n’a pas nécessairement conscience de la portée de ses publications : sa e-réputation peut être en jeu, il doit en être dûment alerté. L’utilisateur, en outre, surtout lorsqu’il s’agit d’un jeune élève, ne maîtrise pas l’usage qui est fait de ses données personnelles par les éditeurs des plateformes. L’école peut participer à le lui enseigner.
4 – La responsabilité du personnel d’éducation
L’usage des réseaux sociaux à l’école présente des risques à l’encontre des élèves, ainsi que des enseignants.
- Lorsque l’enseignant utilise les réseaux sociaux comme support pédagogique, il doit respecter certaines obligations légales, notamment en matière de protection des données et de droit à l’image. À défaut, sa responsabilité peut être mise en cause.
- En tant que personnel éducatif, l’enseignant peut être tenu responsable en cas de cyberdélit commis par un de ses élèves sur un camarade, sur le fondement d’un manquement à son obligation de surveillance ou d’une faute d’abstention.
Le personnel d’éducation, au même titre que les élèves, doit donc être dûment formé aux risques et aux dérives des réseaux sociaux à l’école. Des formations académiques sont dispensées à cet effet. Dans le cadre du programme pHARe, notamment, les équipes d’enseignants sont formées sur 8 journées, dans un délai de 2 ans, pour détecter les cyberdélits et les prendre en charge en urgence.
Le ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, à l’occasion du plan interministériel de lutte contre le harcèlement présenté à la rentrée 2023(11), affirmait que « le repérage [des situations de harcèlement et de cyberharcèlement] est la clé d’une résolution rapide ». Cet exercice de repérage doit faire l’objet d’une attention accrue.
Comment bien faire usage des réseaux sociaux à l’école ?
“ En 2023 et 2024, des réglementations spécifiques sont parues, dans le sens de la protection des mineurs sur les réseaux sociaux. ”
Le cadre réglementaire se dessine progressivement. En 2023 et 2024, des réglementations spécifiques sont parues, dans le sens de la protection des mineurs sur les réseaux sociaux. Les textes, une fois en vigueur, viendront en appui des actions menées par l’École.
Deux réglementations notables en 2023
- La loi du 7 juillet 2023 impose aux réseaux sociaux d’empêcher l’inscription des mineurs de moins de 15 ans, à moins d’avoir l’accord des parents. Retarder l’accès aux réseaux sociaux offre l’avantage de laisser plus de temps aux personnels d’éducation, et aux parents, pour sensibiliser les enfants aux dérives et pour les responsabiliser en vue d’éviter toute forme de cyberdélit.
- La loi du 7 juillet 2023, et le DSA (Digital Services Act) en vigueur depuis août 2023, renforcent les mesures de prévention du cyberharcèlement. Les réseaux sociaux ont l’obligation de mettre en place des dispositifs de signalement de contenus illicites facilement accessibles aux usagers. Facebook, TikTok, Instagram, Snapchat ou encore X, en outre, doivent bloquer l’accès aux utilisateurs diffusant fréquemment des contenus illicites.
- La loi SREN du 21 mai 2024 crée une peine de bannissement ou de suspension des réseaux sociaux pour les auteurs de cyberharcèlement.
Le personnel d’éducation peut-il signaler une situation de cyberharcèlement ? Oui, le signalement relève de la responsabilité de tous. Au sein d’une école ou d’un établissement, les personnels d’éducation sont responsables d’agir : via la ligne 3018, ou directement auprès du réseau social pour faire cesser les actes.
Deux obligations légales à respecter
- Le droit à l’image, part du droit au respect de la vie privée de chacun, est un droit civil consacré par le Code civil(12). En ce qui concerne l’usage des réseaux sociaux à l’école, il implique pour l’enseignant d’obtenir l’autorisation écrite des parents préalablement à la diffusion de photos de l’élève sur un réseau social.
- La loi informatique et libertés(13) et le RGPD édictent des règles contraignantes en matière de protection des données personnelles. Les mineurs sont particulièrement protégés : le traitement des données personnelles des enfants de moins de 15 ans est soumis au consentement de ses parents(14). Dans la mesure où les réseaux sociaux collectent et traitent les données personnelles des utilisateurs, l’enseignant ne peut en aucun cas les utiliser avec ses élèves de moins de 15 ans dans le cadre d’un projet pédagogique, à moins que le compte soit ouvert au nom de la classe, sans aucune publication de données personnelles des élèves.
Sept pistes de réflexion utiles
Dans la mesure où les règles d’usage des réseaux sociaux sont naissantes, les écoles et les établissements doivent prendre des précautions importantes, et notamment :
- Prendre conscience de la mission de sensibilisation aux réseaux sociaux, et se documenter. Des supports éducatifs existent à cet effet, comme l’illustrent les ressources proposées par l’École des réseaux sociaux(15). La mise en place et la diffusion des informations relatives à une procédure d’alerte en situation de crise sont également recommandées, pour minimiser les dérives à l’usage des réseaux sociaux entre élèves. Le guide « Gérer une situation de crise liée à une publication sur un réseau social »(16), rédigé par Isabelle Martin, peut servir de support.
- Intégrer les cyberrisques au programme pHARe, dans une large proportion lors des 10 heures d’apprentissage annuelles. À cette occasion, il est important d’enseigner aux élèves les conséquences des cyberdélits sur les victimes, ainsi que les sanctions attachées. Dans la pratique, les écoles et les établissements doivent appliquer les sanctions prévues par les textes – éviction des cyberharceleurs sous conditions, par exemple.
- Former un maximum d’enseignants, le plus rapidement possible, aux risques auxquels les réseaux sociaux risquent d’exposer.
- Sensibiliser les parents et les faire participer activement à l’éducation des enfants aux réseaux sociaux. Des ressources en ligne peuvent être diffusées à l’attention des parents – la documentation du CLEMI(15), notamment.
- Tenir compte de l’âge des élèves pour évaluer la pertinence de l’usage d’un réseau social à l’école, dans le cadre d’un projet pédagogique.
- Mettre en place l’interdiction des téléphones au collège.
- Fixer un cadre strict avant de mettre en œuvre le projet pédagogique : l’enseignant à cet effet réfléchit, élabore et diffuse une charte.
La charte peut, entre autres exemples, fixer les règles suivantes :
- Le lieu et la fréquence auxquels l’élève peut utiliser le réseau social support du projet.
- Les types de contenus qu’il est autorisé à diffuser, quand et comment.
- La liste exhaustive des personnes avec lesquelles il peut communiquer et interagir.
- L’obligation de prendre connaissance des paramètres de confidentialité des données sur le réseau social, préalablement à son utilisation.
- La manière dont il doit s’exprimer sur le réseau social.
À titre personnel, l’enseignant veille à faire un usage maîtrisé des réseaux sociaux pour protéger sa vie privée.