Avec la crise sanitaire, les enseignants ont dû avoir recours massivement aux outils numériques. De nouveaux risques ont ainsi émergé, parmi lesquels les attaques et mises en cause de professeurs ou personnels de direction, via Internet et les réseaux sociaux. Comment expliquer ce phénomène ? La réponse judiciaire est-elle appropriée ? Les personnels d’éducation sont-ils suffisamment formés sur ces questions et au fait de leurs droits ? Me Florence Lec, avocat au barreau de Paris et avocat-conseil national de L’ASL, nous livre son analyse sur les risques numériques à l’école.

Maître, les outils numériques sont de plus en plus usités dans le cadre scolaire. Y a-t-il de nouveaux risques numériques à l’école pour les personnels d’éducation ?

Les nouveaux usages, en particulier les classes en visio, ont apporté de nouveaux risques. Il s’agit notamment de cyberattaques, d’usurpations de comptes, d’intrusions de personnes anonymes lors de cours en visio pour insulter les professeurs. Je ne peux guère généraliser, mais dans mon expérience personnelle récente, ces cas restent très limités et ne donnent pas lieu à des procédures. C’est d’ailleurs ce que l’on constate dans le baromètre de L’ASL. 

Quels sont les principaux risques auxquels sont confrontés aujourd’hui les personnels de l’éducation à travers le numérique ?

À travers les dossiers que je traite, je vois émerger beaucoup d’attaques et de mises en cause d’enseignants ou de personnels de direction, via Facebook, des conversations WhatsApp, Snapchat ou d’autres réseaux sociaux. Cela concerne le plus souvent les personnels du premier degré, alors que les parents sont encore très impliqués dans l’école. Ils se servent de ces outils numériques comme d’une tribune pour dénoncer des pratiques du corps enseignant, la majorité du temps de façon mensongère. 

La réponse judiciaire est-elle forcément la bonne lorsqu’un enseignant est mis en cause de la sorte ?

Cela va peut-être vous étonner, mais à titre personnel, en tant qu’avocat, je ne pousse pas à la judiciarisation. C’est une démarche qui peut être lourde. Le temps de la justice est long et l’on vit parfois avec le poids d’une procédure pendant plusieurs années. Lorsque cela est possible et que les faits ne sont pas constitutifs d’une infraction pénale, il faut privilégier le dialogue, la médiation. Le rôle de la hiérarchie est d’apaiser la situation. Une lettre comminatoire peut suffire à désamorcer une situation. Il s’agit du courrier d’un avocat qui met en demeure une personne de cesser ses agissements et ses propos.

Pour en revenir aux faits eux-mêmes, pouvez-vous nous réexpliquer brièvement la différence entre diffamation et dénonciation calomnieuse ?

La diffamation est prévue par les articles 29 à 32 de la loi sur la liberté de la presse de 1881. Elle correspond à « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ». La diffamation peut concerner, par exemple, un chef d’établissement accusé sur Facebook d’être prétendument violent contre un élève.

La dénonciation calomnieuse est différente. Elle est prévue par l’article 226.10 du Code pénal. Cette « dénonciation effectuée par tout moyen et dirigée contre une personne déterminée, d’un fait qui est de nature à entraîner des sanctions judiciaires, administratives ou disciplinaires, et que l’on sait totalement ou partiellement inexact, lorsqu’elle est adressée soit à un officier de justice ou de police administrative ou judiciaire, soit à une autorité ayant le pouvoir d’y donner suite ou de saisir l’autorité compétente, soit à un supérieur hiérarchique ou un employeur de la personne dénoncée est punie de 5 ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. » 

Les suites judiciaires dépendent donc de la nature exacte des faits et de leur qualification juridique ?

Tout à fait. Il reviendra à un avocat de procéder à la qualification des faits. En cas de diffamation, on doit agir rapidement, car la prescription est très courte, seulement trois mois à compter de la première publication. Une diffamation privée est une contravention. Elle est traitée devant le tribunal de police et punie d’une peine de 38 euros. Une diffamation publique est un délit. Elle est examinée devant le tribunal correctionnel et peut être sanctionnée par une amende de 45 000 euros lorsque la victime est un fonctionnaire. Dans le cas de dénonciations calomnieuses, on a plus de temps pour agir, puisque la prescription est de 6 ans. Mais cette infraction est complexe, car il est difficile de démontrer que le dénonciateur savait que les faits qu’il reprochait étaient faux ou partiellement faux au moment où il les a dénoncés. 

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