Les atteintes à la laïcité sont protéiformes ; elles peuvent être l’expression de contestations agressives de contenus d’enseignement, des campagnes de dénigrement, de menaces explicites ou de pressions insidieuses, en particulier via les réseaux sociaux. Ces situations exposent directement les agents à des risques importants et sérieux qui peuvent dans certains cas, avoir une issue dramatiques telle que lors des assassinats des professeurs Samuel Paty et Dominique Bernard. Aujourd’hui, l’arsenal juridique mis en place permet de déployer des outils en matière administrative et en matière pénale destinés à mieux protéger les personnels en cas d’atteinte à la laïcité. Le point avec Me Florence Lec, avocat conseil national de L’ASL
Le cadre juridique applicable
“ La loi du 9 décembre 19051 de séparation des Églises et de l'État est considérée comme le texte fondateur de la laïcité. Ses principes sont repris au premier alinéa de l’article 1er de la Constitution de 19582 qui prévoit que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances (…) ». ”
La loi du 9 décembre 19051 de séparation des Églises et de l’État est considérée comme le texte fondateur de la laïcité. Ses principes sont repris au premier alinéa de l’article 1er de la Constitution de 19582 qui prévoit que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances (…) ».
Le Conseil constitutionnel a permis d’apporter plusieurs précisions permettant de définir les contours du principe de laïcité: tout d’abord, « le principe de laïcité figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit3; en tant que principe organisationnel de la République, la laïcité implique « la neutralité de l’État »4 ; « le principe de laïcité impose notamment le respect de toutes les croyances, l’égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion et que la République garantisse le libre exercice des cultes »5.
À l’École, la laïcité de l’État implique la neutralité du service public de l’enseignement, principe qui s’impose aux établissements, à leurs règlements et à leurs agents, afin d’assurer la liberté de conscience et le libre exercice des cultes sans prosélytisme ni pressions dans l’espace scolaire public
Pour les élèves, la loi n° 2004-228 du 15 mars 20046 a introduit l’article L. 141-5-1 du code de l’éducation7 interdisant « dans les écoles, collèges et lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse ».
La Charte de la Laïcité8 à l’école publiée en 2013, conçue comme un outil pédagogique rappelle ces règles.
La circulaire interministérielle du 2 novembre 20209 puis la loi n°2021-1109 du 24 août 202110 confortant le respect des principes de la République renforcent ce cadre en intégrant explicitement la formation des agents au principe de laïcité et en consolidant la protection des agents, tant sur le plan administratif que pénal.
La circulaire du 9 novembre 202211 dite Plan Laïcité dans les écoles et les établissements scolaires vient compléter ce dispositif en prévoyant un plan opérationnel pour prévenir et traiter les atteintes à la laïcité, articulant dialogue, gradation des réponses et soutien renforcée aux personnels notamment grâce à une protection fonctionnelle accordée d’office.
Plus récemment, le décret n° 2023-782 du 16 août 202312 relatif au respect des principes de la République et à la protection des élèves dans les établissements scolaires vient préciser la procédure disciplinaire applicable aux élèves pour les faits portant une atteinte aux valeurs de la République ou au principe de laïcité.
Au-delà des textes, la jurisprudence du Conseil d’État est venue consolider le dispositif. En effet, dans un arrêt du 27 septembre 2024, la haute juridiction a estimé que le ministre de l’Éducation nationale a pu légalement interdire, à la rentrée scolaire de 202313 , le port de tenues de type abaya par les élèves dans les établissements scolaires publics, reconnues comme revêtant un caractère ostensiblement religieux.
Enfin, il convient d’évoquer le Vademecum sur La Laïcité à l’école14 qui constitue un référentiel de situations pour les équipes académiques, les écoles et les établissements.
Cet arsenal juridique, met à la disposition des personnels des outils administratifs et pénaux en cas d’atteinte à la laïcité qu’il convient de rappeler.
Les outils administratifs de protection des personnels
“ Ces outils se déploient dans plusieurs axes : la protection fonctionnelle ; la prévention, la formation et l’accompagnement interne des personnels ; la gestion disciplinaire des faits commis par les élèves. ”
Ces outils se déploient dans plusieurs axes : la protection fonctionnelle ; la prévention, la formation et l’accompagnement interne des personnels ; la gestion disciplinaire des faits commis par les élèves.
S’agissant de la protection fonctionnelle, il convient de rappeler qu’elle est un principe général du droit du aux agents attaqués à l’occasion de leur fonction. Le dispositif désormais codifié aux article L 134-1 et suivants CGFP15 a été renforcé notamment par la circulaire du 9 novembre 202211 qui consacre le principe d’un octroi d’office de la protection fonction par l’administration à son agent en cas d’atteinte aux valeurs de la République. Plus particulièrement, lorsqu’existe un risque manifeste d’atteinte grave à l’intégrité physique de l’agent, l’administration devra prendre sans délai et à titre conservatoire les mesures d’urgence de nature à faire cesser ce risque et à prévenir la réalisation ou l’aggravation des dommages causés par ces faits. Le plan ministériel pour la tranquillité scolaire en date du 4 décembre 202416 vient compléter la protection en prévoyant un octroi immédiat de la protection fonctionnelle, même sans demande, « à chaque fois qu’un personnel est agressé ou menacé dans l’exercice de ses fonctions ».
S’agissant de la formation, il est prévu que tout enseignant et tout personnel éducatif puisse se former à la Laïcité grâce à deux parcours « magistère », d’une part, à travers le parcours d’auto-formation « Laïcité », parcours interactif composé de modules et, d’autre part, à travers le parcours « Faire vivre les valeurs de la République » organisé autour de trois principes : clarifier le cadre réglementaire et institutionnel relatif aux valeurs et principes de la République ; renforcer la culture commune des personnels à partir d’études de cas ; permettre aux enseignants de mutualiser et partager leurs pratiques.
S’agissant de l’accompagnement interne des personnels, il se déploie non seulement au niveau national mais également au niveau académique :
Au niveau national, le Conseil des sages de la laïcité et des valeurs de la République17 a la charge de définir la position de l’institution en matière de laïcité et de faits religieux. Les personnels peuvent également saisir l’Équipe nationale valeurs de la République18 à chaque situation grave d’atteinte à la laïcité pour une expertise complémentaire aux équipes académiques valeurs de la République (EAVR) qu’elle anime et coordonne.
Au niveau académique, les EAVR viennent apporter leur soutien aux directeurs/directrices d’école et chefs d’établissements. La circulaire du 9 novembre 2022 a mis en place une fiche technique à destination des EAVR destinée à guider la conduite de l’action des chefs d’établissement en cas de port de tenue manifestant ostensiblement une appartenance religieuse.
La gestion disciplinaire des faits commis par les élèves est également un des outils de protection pour les personnels. La procédure disciplinaire doit être engagée en l’absence d’issue favorable au dialogue. Ici encore, la circulaire du 9 novembre 2022 vient préciser le cadre et les conditions à travers son Annexe 2 et son Annexe 3 intitulée « Procédure disciplinaire applicable aux élèves en cas d’atteinte à la laïcité et aux valeurs de la République ». Le décret du 16 août 202319 relatif au respect des principes de la République et à la protection des élèves dans les établissements scolaires relevant du ministre chargé de l’éducation nationale vient compléter ce dispositif en venant préciser la procédure disciplinaire applicable aux élèves pour les faits portant une atteinte aux valeurs de la République ou au principe de laïcité. Désormais, pour de tels faits, le chef d’établissement est tenu d’engager une procédure disciplinaire.
Outre les outils administratifs, les personnels disposent par ailleurs de la protection de la loi pénal dont le dispositif a été renforcé avec l’entrée en vigueur de la loi du 24 août 202110.
Les outils pénaux de protection des personnels
“ Les atteintes à la laïcité demeurent une préoccupation majeure des pouvoirs publics qui ont mis en place et adapté les outils de protection à destination des personnels de l’Éducation qui restent en première ligne et exposés. Les outils restent perfectibles et si l’École est aujourd’hui un lieu où les règles sont précises et clarifiées, il conviendra d’en faire de même dans d’autres sphères de l’éducation et notamment au niveau sportif. ”
Le volet pénal de protection des personnels a été renforcé avec la loi n°2021-1109 du 24 août 202110 avec la création des délits suivants :
Il s’agit tout d’abord du délit de mise en danger de la vie d’un agent public par diffusion d’informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle.
Cette infraction est définie à l’article 223-1-1 du code pénal20 selon les termes suivants : « Le fait de révéler, de diffuser ou de transmettre, par quelque moyen que ce soit, des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ou de la localiser aux fins de l’exposer ou d’exposer les membres de sa famille à un risque direct d’atteinte à la personne ou aux biens que l’auteur ne pouvait ignorer est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende (…) Lorsque les faits sont commis au préjudice d’une personne (…) chargée de mission de service public (…), les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende (…) ».
Il convient de rappeler que le professeur Samuel Paty avait été victime sur les réseaux sociaux de la révélation d’informations personnelles notamment relative à son identité et son établissement scolaire ; ce délit a été créé pour protéger désormais les personnels de ce type d’atteinte.
Autre dispositif prévu par la loi du 24 août 2021 ; le délit d’entrave à la fonction d’enseignant.
L’article 431-1 alinéa 3 du code pénal21 dispose : « Le fait d’entraver, d’une manière concertée et à l’aide de menaces, l’exercice de la fonction d’enseignant est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ».
Selon ces dispositions du code pénal, on observe qu’un seul agissement peut être constitutif du délit d’entrave, qui ne peut résulter d’un simple trouble à la fonction d’enseigner mais d’une véritable entrave. S’agissant de la notion de menace, la jurisprudence constante l’a défini comme tout acte ou propos propres à faire naitre sérieusement chez la personne qui en est l’objet la crainte ou l’appréhension pour sa sécurité́ personnelle.
Autre délit crée par la loi du 24 août 2021, les menaces, violences ou actes d’intimidation à l’encontre d’une personne participant à l’exécution d’une mission de service public aux fins d’obtention d’une dérogation aux règles régissant ce service.
Ce délit, prévu à l’article 433-3-1 du code pénal22 prévoit : « Est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende le fait d’user de menaces ou de violences ou de commettre tout autre acte d’intimidation à l’égard de toute personne participant à l’exécution d’une mission de service public, afin d’obtenir pour soi-même ou pour autrui une exemption totale ou partielle ou une application différenciée des règles qui régissent le fonctionnement dudit service. / Lorsqu’il a connaissance de faits susceptibles de constituer l’infraction prévue au premier alinéa, le représentant de l’administration ou de la personne de droit public ou de droit privé à laquelle a été confiée la mission de service public dépose plainte ».
Il pourrait par exemple s’agir de faits de menaces exercées contre un personnel afin d’obtenir le report d’une date d’examen ayant lieu le jour d’une fête religieuse. Il est intéressant en outre de constater que le code pénal prévoit que l’administration dépose plainte lorsqu’elle a connaissance de ces faits aux côtés de la victime qui, elle-même pourra déposer plainte.
En 2025, la loi de 1905 de la séparation des Églises et de l’État fête ses 120 ans. Cette loi constitue toujours et plus que jamais une boussole pour notre République. Les atteintes à la laïcité demeurent une préoccupation majeure des pouvoirs publics qui ont mis en place et adapté les outils de protection à destination des personnels de l’Éducation qui restent en première ligne et exposés. Les outils restent perfectibles et si l’École est aujourd’hui un lieu où les règles sont précises et clarifiées, il conviendra d’en faire de même dans d’autres sphères de l’éducation et notamment au niveau sportif. Plus que jamais, les personnels trouveront soutien et conseils auprès de L’ASL et le cas échéant auprès de ses avocats conseils.