Pourriez-vous expliciter le terme de « refondation » ?

François Hollande avait promis durant la campagne présidentielle la mise en œuvre d’une « refondation de l’école de la République ». Après son investiture, cette volonté a été réitérée lors d’un hommage à Jules Ferry.

Cette « refondation » annonce un nouveau contexte de politique éducative. Je suis d’ailleurs l’un des inspirateurs de cette notion. Il faut noter que la terminologie de « refondation » se distingue de celle de
 « révolution », mais aussi de simples « réformes » ou d’une « restauration ». La refondation n’est en effet pas une rupture ou un simple retour en arrière, et elle a une grande ambition.

Quels ont été les écueils des politiques éducatives françaises ?

Les premiers tests PISA* ont été réalisés en 1999. La France connaissait alors les inégalités les plus importantes de réussite éducative, en fonction du statut socio-culturel d’origine. Cette étude avait pourtant été menée dans un contexte de forte croissance du PIB destiné au système scolaire, dès 1988. La part du PIB français attribuée à l’école a en effet nettement augmenté durant le 2e septennat de François Mitterrand, mais les moyens ont été attribués principalement vers le lycée, moins vers les sphères inférieures. Aujourd’hui, l’investissement moyen pour un élève français de primaire est inférieur de 14% à la moyenne de l’OCDE, situation inverse pour un élève de lycée (13% en plus). La France est l’un des seuls pays dans lequel l’égalité est une mission pour l’école, et pourtant ses résultats scolaires sont parmi les plus inégalitaires.

* Evaluation menée dans les pays de l’OCDE sur l’acquisition de savoirs et savoir-faire relatifs à la lecture, la culture mathématique et la culture scientifique.

Comment mettre en œuvre cette refondation ?

Actuellement, il ne s’agit pas de revenir en arrière, mais de revenir aux finalités premières de l’école républicaine tout en les mettant en accord avec le 21e siècle. Il ne faut pas seulement s’intéresser à l’effort global consenti, mais savoir où vont ces moyens financiers, à qui et à quoi ils peuvent servir. Il reste un long chemin à parcourir pour aller vers une école égalitaire. D’ailleurs, selon un sondage IPSOS de la fin juillet 2011, 83% des sondés répondaient que le rôle de l’école devrait être important pour réduire les inégalités.

De mon point de vue d’historien, une refondation de l’école demande dix à quinze ans. Il faut que l’ensemble des parties prenantes comprennent par une loi d’orientation les directions de cette refondation. L’école de Jules Ferry permet d’éclairer cette notion de refondation en vue de redéfinir ce que l’on appelle maintenant un « socle commun » pour tous et pour chacun.

  • En quoi consiste l’instruction pour le 21e siècle ? La question essentielle n’est pas celle du «niveau» (plus ou moins haut) mais la définition de ce qu’il est « indispensable de bien apprendre » comme disait Jules Ferry. Il est ainsi nécessaire de définir ce qui est indispensable (et faisable) dans la formation des hommes et des femmes du 21e siècle. C’est l’épineuse question des fondamentaux. Elle revient à cerner ce qui doit et peut être acquis par tous les enfants de France.
  • Question sous-jacente, existe-t-il encore un « bien commun », un intérêt général ? Jules Ferry considérait qu’une école républicaine ne peut pas en rester aux rudiments : lire, écrire, compter. La refondation à engager suppose en effet de reprendre les principes fondamentaux, les «bases de la base» (celles de l’école primaire), pour un bien commun et une culture de notre temps.
  • Jules Ferry avait souligné que « les programmes ne valent que par la méthode ». Les républicains fondateurs de l’école de la 3eme république ont pris très au sérieux la réflexion pédagogique. Il s’agit de repérer les divers chemins qui peuvent mener à l’appropriation effective de ce « bien commun » par tous les élèves et d’y former les enseignants.

Si nous ratons la refondation de l’Education Nationale, ce sera la fin de l’Education Nationale. Il faut refonder l’école pour le 21e siècle, sinon nous en aurons une autre, « ultra libérale », où la concurrence sauvage de tous contre tous l’emportera sans souci d’un bien commun partagé.