Que retenez-vous de cette journée entièrement dédiée à l’inclusion ?

« Au-delà de la grande richesse des regards et des réflexions croisés, c’est avant toute chose une satisfaction d’avoir pu enfin entendre une parole posée sur des problématiques de fond. »

Jean-Louis Linder : 

Au-delà de la grande richesse des regards et des réflexions croisés, c’est avant toute chose une satisfaction d’avoir pu enfin entendre une parole posée sur des problématiques de fond. Les vécus divers et le témoignage très fort de Sylvain et sa famille nous ouvrent à de possibles améliorations, sans doute moins complexes qu’il n’y parait, au sein du vaste monde de l’éducation.

Et je peux me sentir heureux d’avoir vu à l’œuvre parents, jeunes concernés et professionnels réunis autour d’une même attention à l’autre, sans tomber dans le piège de la vindicte ou de propos accusateurs quant à une situation dont nous savons qu’elle est loin d’être satisfaisante.

Les associations, faut-il le redire, sont là depuis bien longtemps à travailler avec volonté et constance pour construire non pas une société inclusive, mais une société véritablement non exclusive.

L’ASL a cette qualité d’être active au quotidien et d’avoir une éthique de l’action pour maintenir vivant le cœur républicain : la solidarité et la fraternité.

À ce titre, Sylvain a parfaitement démontré que c’est par la rencontre et l’ouverture que ses grandes compétences personnelles ont pu s’exprimer.

 

Les témoignages tenus lors des « Rencontres Inclusives », dont celui de Sylvain Huart, autiste Asperger âgé de 22 ans, font part des difficultés rencontrées de la maternelle au lycée par les élèves « à besoins particuliers », les enseignants ont-ils tous accès à des outils ou à des compétences qui permettent d’accompagner ces élèves ?

« S’il y a une première action volontariste à mener, c’est bien celle autour de la formation initiale et continue. »

Jean-Louis Linder : 

Votre question est en soi déjà une réponse, et s’il y a une première action volontariste à mener, c’est bien celle autour de la formation initiale et continue pour que l’école et ses personnels soient en mesure de répondre à ce défi de mener chacun vers l’autonomie, en donnant à tous un bagage de connaissances et un environnement propice à révéler les compétences individuelles.

Cela est vrai pour chaque élève, et d’autant plus pour les élèves qui ont des besoins spécifiques en lien avec une situation de handicap.

Mais cela ne saurait suffire, car, aussi compétents et engagés soient-ils, les personnels enseignants et les éducateurs en général peuvent toucher très vite les limites de ce qui relève de la compétence « éducative ». Et là, force est de constater que les professionnels du soin et de la santé sont les grands absents ou, s’ils sont présents, c’est de manière insuffisante et trop tardive.

Il y a ici une vraie question de coordination et de rapidité de mise en place des moyens externes à l’Éducation nationale. C’est le sens de la loi du 11 février 2005.

La seule nécessaire formation des personnels n’est pas suffisante.

 

Un conseiller technique IEN-ASH déclarait lors des tables rondes de ces « Rencontres Inclusives » que les critères pour définir un élève en situation de handicap étaient flous. La loi pourrait-elle lever ce flou ?

« Définir la situation de handicap pourrait être réducteur en créant une “case” dans laquelle on est ou on n’est pas. »

Me Dominique Trouvé :

À ma connaissance, aucun texte ne définit la situation de handicap. C’est une notion essentiellement médicale. Toute la législation vise à établir une école pour tous. Or, le « tous » n’est pas définissable.

Le but étant l’élimination de l’exclusion, définir la situation de handicap pourrait être réducteur en créant une « case » dans laquelle on est ou on n’est pas.

L’absence de définition permet aussi de prendre en compte toutes les situations, fussent-elles nouvelles. Cela permet de suivre l’évolution. Ainsi, la situation de handicap n’est plus aujourd’hui résumée à la mobilité réduite.

 

Quel rôle joue la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées) dans le parcours des élèves ? Peut-elle modifier la dynamique de l’inclusion ?

« Son rôle le plus connu reste la gestion de toutes les demandes de droits ou prestations qui relèvent de la compétence de la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH). »

Jean-Louis Linder : 

La MDPH a un ensemble de missions très larges qui vont de l’information à l’accompagnement et au conseil aux personnes en situation de handicap ainsi que leur famille, en passant par un axe de sensibilisation de tous les citoyens à la question du handicap.  Son rôle le plus connu reste la gestion de toutes les demandes de droits ou prestations qui relèvent de la compétence de la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH). Mais nous la cernons au quotidien comme la gestionnaire du fonds départemental de compensation du handicap avec des aides financières .

Dans le cadre du PPS (projet personnalisé de scolarisation) et du GEVA-Sco (Guide d’évaluation des besoins de compensation en matière de scolarisation), nos collègues et les familles vont établir une série de besoins liés au domaine scolaire et proposer, par exemple, des aménagements matériels et des demandes d’heures pour les AESH (accompagnants d’élèves en situation de handicap). La MDPH est incontournable pour nous, mais elle ne peut pas tout.

 

L’étude sur le climat scolaire dans le 1er degré de L’ASL, menée par Benjamin Moignard et Éric Debarbieux et dévoilée en octobre dernier, montre plusieurs difficultés des personnels par rapport au sujet de l’inclusion. Pouvez-vous expliciter la problématique révélée sur ce sujet dans le rapport ?

« La problématique de fond reste le temps de réponse trop long des autres professionnels. […] Il y a une vraie souffrance de tous quand la réalité du terrain est ignorée. »

Jean-Louis Linder : 

Je l’ai indiqué, dès lors que l’équipe pédagogique a pu identifier une difficulté qui pourrait relever du champ du handicap ou d’un autre trouble, la problématique de fond reste le temps de réponse trop long des autres professionnels.

Les acteurs du monde médical et de la psychologie sont difficilement mobilisables pour aider les équipes pédagogiques, pour expertiser en première intention, avant toute autre action de remédiation.

Ces dernières se retrouvent donc livrées à elles-mêmes et tentent pendant des mois, voire des années, de gérer, pour ne pas dire bricoler tant bien que mal, et finissent par nous confier leur souffrance et leurs questionnements.

Ce qui ressort de leur propos, c’est l’inquiétude de voir tous les enfants, et en premier lieu l’enfant dans la difficulté, potentiellement soumis à un risque d’accident ou en état de crise. Et de devoir en assumer seuls la responsabilité.

Ils se voient régulièrement accusés de non-action, voire de négligence ou, pire, de maltraitance, et sont victimes en retour d’un climat délétère et d’agressions diverses qui rendent le métier très difficile, voire impossible à exercer sereinement.

Il y a une vraie souffrance de tous quand la réalité du terrain est ignorée.

 

Y a-t-il un texte fondateur sur l’inclusion ?

« Rappelons que l’article 13 du Préambule de la Constitution de 1946 garantit le droit à l’éducation à chacun. »

Me Dominique Trouvé :

On pense immédiatement à l’article L111-1 du Code de l’éducation qui précise, depuis le 26 juillet 2019, que le service public de l’éducation « veille à la scolarisation inclusive de tous les enfants sans aucune distinction ».  Pour autant, le Conseil d’État, dans son arrêt Laruelle du 8 avril 2009, oblige l’État à prendre les mesures et les moyens nécessaires pour rendre effectif le droit à l’éducation des enfants handicapés. Rappelons que l’article 13 du Préambule de la Constitution de 1946 garantit le droit à l’éducation à chacun.

 

Lorsque dans un dommage ou un conflit, il y a une cause ou une question d’inclusion, le contentieux est-il la solution ?

« Le contentieux est l’expression d’un échec. L’inclusion est le contraire du conflit. »

Me Dominique Trouvé :

Certainement pas ! Le contentieux est l’expression d’un échec. L’inclusion est le contraire du conflit. Cependant, un dommage relevant d’une infraction donnera lieu a minima à une enquête.

Autrement, il faut entretenir un dialogue permanent autour de la spécificité (et je ne dis pas différence) d’un écolier en situation de handicap.

 

Pourrait-on mettre en cause l’État qui n’a pas donné les moyens aux personnels de faire face à des situations extrêmement difficiles, pour lesquelles ils n’ont pas été formés ?

« Le Conseil d’État a reconnu une obligation de résultat pesant sur l’État qui doit assurer la scolarisation des enfants en situation de handicap. Le manquement à cette obligation entraîne sa responsabilité. »

Me Dominique Trouvé :

Le Conseil d’État a reconnu une obligation de résultat pesant sur l’État qui doit assurer la scolarisation des enfants en situation de handicap. Le manquement à cette obligation entraîne sa responsabilité.

Un membre de l’Éducation ne peut être individuellement être mis en cause devant les juridictions administratives.

Un personnel qui n’a pas pu remplir sa mission faute de moyens adaptés, et dont la responsabilité est recherchée, pourrait s’exonérer de responsabilité pénale et civile en invoquant l’absence de moyens.

 

Que peut-on faire quand la justice est impuissante à améliorer la situation dans l’intérêt de l’enfant ?

« La famille dont on connait les difficultés a souvent un rôle majeur pour faire débloquer la situation. »

Jean-Louis Linder : 

L’ASL recommande toujours de ne pas rester silencieux et d’informer par écrit et de manière très précise l’autorité hiérarchique et les familles. Cela a évidemment une limite, car informer ne donne pas de solution, mais renvoie les acteurs tant hiérarchiques que ceux du monde médico-psychologique à leur responsabilité.

Enfin, comme le rappelle Me Trouvé, la loi est claire et nul enseignant ne peut être tenu responsable de l’absence de moyens dès lors qu’il aura parfaitement fait remonter la situation.

La famille dont on connait les difficultés a souvent un rôle majeur pour faire débloquer la situation.

C’est donc bien dans la relation de confiance et de respect mutuel qu’elle pourra prendre sa part et solliciter MDPH et institution.

Nous constatons, hélas, que le chemin pris ne va pas dans ce sens et que les familles se tournent vers l’école comme seule détentrice d’une solution rapide.

Il y a un vrai travail d’information et d’explication à faire, pour lequel les équipes ont encore une fois besoin d’être accompagnées et formées.

Les maitres-référents dont le rôle est majeur sont souvent en mesure de le faire. Et dans les cas les plus difficiles, nos militants et nos avocats peuvent être sollicités pour envisager des actions juridiques. En arriver à cette extrémité est évidemment un constat d’échec pour L’ASL, qui œuvre à la prévention des risques.