Une pandémie qui complique, un enthousiasme qui résiste

Un premier constat s’impose : malgré des circonstances pour le moins particulières de l’année scolaire 2020-2021, nos trois enseignants ont gardé intacte la vocation qui les a menés vers leur métier. Tous se sentent à leur place, utiles, « dans un métier qui a du sens et où il n’y a aucune obsession du rendement » salue Julie, professeure de français. Kevin, professeur d’éducation physique et sportive, se réjouit d’apporter à ses élèves « des valeurs clés pour leur construction, notamment le respect des règles collectives ». Mathilde, quant à elle, professeure des écoles, éprouve un grand plaisir à réfléchir chaque matin à « comment rendre la journée unique, intéressante et ‘chouette’ pour les élèves ».

Pourtant, l’année fut loin d’être simple. Entre mesures barrières, périodes d’enseignement à distance, port du masque, les conditions n’étaient vraiment pas idéales. Si elle juge en avoir moins souffert que d’autres de ses collègues, Julie déplore néanmoins les difficultés de communication liées au masque : « je suis sûre que, parfois, j’ai perdu quelques élèves sur le visage desquels je n’ai pas pu lire qu’ils n’avaient pas compris… et à l’inverse, je sais que mes expressions faciales à moi ne sont pas toujours bien passées ».

Pour le reste, il a fallu s’adapter aux protocoles et aux règles qui changeaient régulièrement. Si Kevin n’a pas eu trop de difficultés à proposer à ses élèves des activités sportives en plein air, Mathilde n’a, de son côté, pas pu emmener sa classe en sortie ou à la piscine. Elle préfère en rire : « comme ça, il me reste plein de choses à apprendre l’année prochaine ».

 

Parmi les difficultés, la lourde charge du travail informel

Nos trois enseignants n’ont pas le même parcours. Julie a décroché son Capes sans être inscrite auparavant en master MEEF. Elle a eu la mauvaise surprise de se retrouver affectée pour sa première année à près de 500 kilomètres de son domicile : « j’ai eu le sentiment de me faire parachuter là où ça arrangeait l’institution, alors que ça a été très compliqué pour moi… Il a notamment fallu chercher un logement, ça a été une vraie source de stress » témoigne-t-elle.

Mathilde, elle, a été affectée pour sa première année à une classe multi-niveaux CP, CE1, CE2, CM1, ce qui n’est pas supposé arriver, surtout pas pour le CP qui est une classe cruciale où les élèves apprennent à lire. « Ça a été vraiment intense, heureusement que j’avais des collègues compréhensifs dont certains ont proposé de me décharger de certaines heures d’enseignement » avoue-t-elle.

Au-delà de ces cas particuliers, tous ont découvert la charge que représente, dans leur emploi du temps, la préparation de leurs cours. Si Kevin dit pouvoir prendre exemple pour cela sur ses collègues, Julie comme Mathilde doivent y consacrer beaucoup de temps. « C’est un travail caché mais qui est très chronophage et qui prend une grande partie de la semaine » affirme cette dernière. Julie abonde : « j’ai de la chance de n’avoir que des classes d’un même niveau cette année, sinon je devrais découvrir en même temps tous les programmes ».

 

Une formation initiale encore trop loin du quotidien

Quid de la formation délivrée par les Inspé et de son adaptation au terrain ? Julie poursuit sur sa lancée : « à titre personnel, j’ai eu l’impression que ça ne m’apportait pas grand-chose… ». Ce qu’elle aimerait voir dans ces cours ? De vraies séquences de travail en groupe sur des supports pédagogiques qui répondent concrètement aux questions du quotidien. Même avis du côté de Kevin, qui aurait aimé « avoir plus d’heures en établissement, pour se former sur le terrain ». Mathilde, qui elle est devenue professeure des écoles après une reconversion professionnelle, tempère par son jugement : « je sais que ce n’est pas l’avis de tout le monde, mais je suis très heureuse d’avoir pu à nouveau me former ». Elle concède néanmoins que beaucoup d’enseignements restent trop scolaires, et que les retours d’expérience des intervenants sont, de loin, les moments les plus intéressants.

Tous disent ainsi le hiatus qui subsiste entre les enseignements théoriques et la pratique. A ce sujet, Mathilde ajoute d’ailleurs que la formation initiale reçue sur des sujets importants comme les relations avec les parents d’élèves est selon elle très insuffisante, et que c’est davantage sa précédente expérience dans le monde du travail qui l’a aidée.

 

Le tutorat, dispositif unanimement salué

S’il est un autre point qui fait l’unanimité, de façon positive cette fois, c’est le tutorat qui est mis en place lors de cette première année d’enseignement. Les « stagiaires » bénéficient en effet de deux tuteurs, un sur le terrain, choisi au sein de leur établissement, et un tuteur de l’Inspé, qui les suit de façon moins régulière.

Kevin n’hésite pas à parler de « liens cordiaux » avec son tuteur d’établissement : « c’est quelqu’un avec qui la différence d’âge était assez faible, mais qui surtout était agrégé et qui m’a apporté des cadres et des éléments de réflexion que je n’avais pas forcément, il m’a aidé à me centrer sur la préparation de mes leçons notamment ».

Julie, de son côté, loue le lien qui s’est noué avec son tuteur et qui lui permet d’avoir au quotidien quelqu’un avec qui dialoguer et établir une vraie relation de confiance. Même si elle change d’établissement à la rentrée prochaine, elle sait d’ailleurs qu’elle gardera un lien fort avec sa tutrice.

Enfin Mathilde ne dit pas autre chose : elle qui avait, pour sa première rentrée, un problème avec un élève turbulent, a pu s’appuyer sur son tuteur d’établissement. « Il m’a aidée à poser un cadre, il a tout de suite pointé le problème et m’a conseillée de me concentrer en priorité sur cette question, sur la relation à la classe qui était clé pour faire avancer les élèves » se souvient-elle.

 

L’importance de la solidarité entre enseignants

Plus largement, les trois jeunes enseignants soulignent la solidarité qui règne dans chacun de leurs établissements entre les personnels d’éducation. « Ça allait de soi d’aller assister aux cours de mes collègues pour enrichir mon expérience et mes méthodes, puis d’en discuter entre nous de façon informelle » confirme Kevin.

Même sentiment chez Julie qui, si elle n’a pas réellement pu travailler avec ses collègues de français cette année, a néanmoins rencontré une communauté éducative bienveillante. Elle a également pris les devants pour la prochaine rentrée, dans un nouvel établissement : « j’ai contacté mon futur collègue qui est jeune et avec qui nous avons déjà des projets » s’enthousiasme-t-elle.

Quant à Mathilde, elle exprime sa gratitude envers ses collègues enseignants qui veillent à accueillir le mieux possible les nouveaux venus. « Ce sont des personnes qui ont une vocation, qui se démènent pour leurs élèves… quelque part, c’est aussi grâce à eux que le système scolaire tient » pense-t-elle tout haut.

 

Entre soutien moral et questions juridiques, une place pour L’ASL

Si aucun problème majeur avec la hiérarchie ne ressort dans l’expérience de Kevin et de Julie, Mathilde, elle, confie avoir été témoin de conflits entre certains de ses collègues. « Ça a été très difficile d’en parler, notamment parce qu’au sein de l’établissement c’était impossible, les gens avaient peur… heureusement, je connaissais L’ASL : ça a été un soulagement d’avoir en ligne quelqu’un non seulement qui écoute, mais aussi qui comprend la situation » témoigne-t-elle. Sans être une solution miracle, ce type d’appels est un premier pas. Ainsi, Mathilde dit s’être sentie soulagée d’avoir pu briser le silence et d’avoir, peut-être, contribué à apaiser, à terme, la situation.

Plus largement, c’est l’intérêt pour le conseil et l’appui juridique que peut apporter L’ASL qui revient chez les jeunes enseignants. S’ils n’identifient pas immédiatement tous les risques auxquels ils s’exposent, ils expriment néanmoins de nombreuses questions pratiques. Ainsi celle de Julie : « quand un élève me demande de le laisser sortir pour aller aux toilettes, je ne sais jamais quoi faire car je reste juridiquement responsable de lui… C’est idiot mais c’est mon quotidien, et là-dessus les formateurs de l’Inspé ne savent pas nous répondre ».

Preuve qu’il y a non seulement une appétence pour les contenus diffusés par L’ASL, mais aussi une vraie demande pour ses formations qui pourraient trouver toute leur place dans l’offre académique.